cela, dit M. Antoine en posant un doigt sur ses levres:
il m'a tout dit. Seulement il m'a exagere, comme de coutume, ses griefs
contre votre pere. Mais nous parlerons de cela, et j'ai a vous remercier,
pour mon propre compte, de l'interet que vous lui portez. Il est parti a la
petite pointe du jour, et je ne sais s'il pourra revenir aujourd'hui, car
il est plus traque que jamais; mais je suis sur que, grace a vous, ses
affaires prendront bientot une meilleure tournure. Vous me direz ce que
vous avez definitivement obtenu de monsieur votre pere pour le salut et la
satisfaction de mon pauvre camarade. Je suis charge de vous entendre et de
vous repondre, car j'ai ses pleins pouvoirs pour traiter avec vous de la
pacification; je suis sur que les conditions seront honorables en passant
par votre bouche! Mais rien ne presse au point que vous n'acceptiez pas
notre dejeuner de famille, et je vous declare que je n'entrerai pas en
pourparlers a jeun. Commencons par satisfaire votre cheval, car les animaux
ne savent point demander ce qu'ils desirent, et il faut que les gens
s'occupent d'eux avant de s'occuper d'eux-memes, de peur de les oublier.
Ici, Janille! apportez votre tablier plein d'avoine, car cette noble bete a
l'habitude d'en manger tous les jours, j'en suis certain, et je veux
qu'elle hennisse en signe d'amitie toutes les fois qu'elle passera devant
ma porte; je veux meme qu'elle y entre malgre son maitre, s'il m'oublie."
Janille, malgre l'economie parcimonieuse qui presidait a toutes ses
actions, apporta sans hesiter un peu d'avoine qu'elle tenait en reserve
pour les grandes occasions. Elle trouvait bien que c'etait une superfluite;
mais, pour l'honneur de la maison de son maitre, elle eut vendu son dernier
casaquin, et cette fois elle se disait avec une malice genereuse que le
present qu'Emile lui avait fait a leur derniere entrevue, et celui qu'il ne
manquerait pas de lui faire encore, seraient plus que suffisants pour
nourrir splendidement son cheval, chaque fois qu'il lui plairait de
revenir.
"Mange, mon garcon, mange," dit-elle en caressant le cheval d'un air
qu'elle s'efforcait de rendre male et delure; puis, faisant un bouchon de
paille, elle se mit en devoir de lui frotter les flancs.
"Laissez, dame Janille, s'ecria Emile en lui otant la paille des mains. Je
ferai moi-meme cet office.
--Croyez-vous donc que je ne m'en acquitterai pas aussi bien qu'un homme?
dit la petite bonne femme omni-competente. Soye
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