t. Gilberte
rencontra donc avec etonnement le regard rapide et involontaire que le
jeune Cardonnet jeta sur elle. Il avait tressailli, et un sentiment confus
de sympathie, de crainte et de plaisir avait fait battre son coeur en
s'entendant confondre avec la belle Gilberte dans cette paternelle
appellation du chatelain.
IX.
M. ANTOINE.
Cette fois le dejeuner fut un peu plus confortable que de coutume a
Chateaubrun. Janille avait eu le temps de faire quelques preparatifs. Elle
s'etait procure du laitage, du miel, des oeufs, et elle avait bravement
sacrifie deux poulets qui chantaient encore lorsque Emile avait paru sur le
sentier, mais qui, mis tout chauds sur le gril, furent assez tendres.
Le jeune homme avait gagne de l'appetit dans le verger, et il trouva ce
repas excellent. Les eloges qu'il y donna flatterent beaucoup Janille, qui
s'assit comme de coutume en face de son maitre et fit les honneurs de la
table avec une certaine distinction.
Elle fut surtout fort touchee de l'approbation que son hote donna a des
confitures de mures sauvages confectionnees par elle.
"Petite mere, lui dit Gilberte, il faudra envoyer un echantillon de ton
savoir-faire et ta recette a madame Cardonnet, pour qu'elle nous accorde en
echange du plant de fraises ananas.
--Ca ne vaut pas le diable, vos grosses fraises de jardin, repondit
Janille; ca ne sent que l'eau. J'aime bien mieux nos petites fraises de
montagne, si rouges et si parfumees. Cela ne m'empechera pas de donner a
M. Emile un grand pot de mes confitures pour _sa maman_, si elle veut bien
les accepter.
--Ma mere ne voudrait pas vous en priver, ma chere demoiselle Janille,
repondit Emile, touche surtout de la naive generosite de Gilberte, et
comparant dans son coeur les bonnes intentions candides de cette pauvre
famille avec les dedains de la sienne.
--Oh! reprit Gilberte en souriant, cela ne nous privera pas. Nous avons et
nous pouvons recommencer une ample provision de ces fruits. Ils ne sont pas
rares chez nous, et si nous n'y prenions garde, les ronces qui les
produisent perceraient nos murs et pousseraient jusque dans nos chambres.
--Et a qui la faute, dit Janille, si les ronces nous envahissent? N'ai-je
pas voulu les couper toutes? Certainement j'en serais venue a bout sans
l'aide de personne, si on m'eut laissee faire.
--Mais moi, j'ai protege ces pauvres ronces contre toi, chere petite mere!
Elles forment de si belles guirlandes autour de nos
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