s; je ne pus me defendre de lui offrir un
dollar et je me precipitai, l'ame transie, hors de cet enfer.
--Oh! quelle abomination qu'une telle misere, pensai-je, oh! la mort, la
mort sur l'heure, plutot que d'echouer jamais avec ma chere femme dans
une pareille extremite!
La pluie glaciale tombait toujours; elle assombrissait toutes choses
autour de moi et me poussait encore plus avant dans les idees noires.
--J'etais bien sur de vous retrouver ici, me dit-on brusquement en
me secouant le bras, de maniere a me tirer de l'abattement ou je me
perdais.
C'etait l'ami Pratt, devenu tout autre que ce matin; il n'avait plus la
mine preoccupee, ses yeux flamboyaient de bonne humeur.
--Vite, a l'hotel! nos valises! une voiture est prete, disait-il. Nous
allons passer quelques jours dans une charmante maison de campagne, a
une petite lieue d'ici; on nous attend a diner, vite, vite!
Il m'entrainait avec la rapidite d'un coup de vent. En moins de
rien nous avions boucle nos sacs de voyage et dit adieu au
Yankee-Doodle-Hotel, pour monter dans un fringant vehicule a deux
chevaux qui prit le galop sur le pave et roula bientot sous les arbres
des routes exterieures.
Cette diversion inattendue ne dissipait pas ma melancolie et j'en
etais toujours au regret de mon voyage inutile. Mais Pratt se mit a me
regarder bien en face, non sans un peu de cet air malicieux que vous
savez.
--Voyons, cher ami Cripple, qu'y a-t-il, pourquoi cette tenue
d'enterrement? me demanda-t-il en me bourrant gaiment de coups de
poings.
J'avais le coeur trop gros pour pouvoir dissimuler plus longtemps.
--Helas! repondis-je, je me retrouve, apres tant d'annees, obscur et
pauvre a cote de vous desormais riche et glorieux; j'ai le sentiment
d'avoir rate ma vie, j'entrevois un avenir de desolation profonde pour
ma femme et moi dans le delai prochain ou je serai trop vieux pour
travailler...
Le bon Pratt interrompit cette doleance par un large eclat de rire.
--Allons, allons, assez de jeremiades, la vie est belle, le sort est bon
enfant, nous serons heureux tous, tous! s'ecria-t-il, en une veritable
explosion d'enthousiasme.
"Et d'abord, ajouta-t-il, apprenez que je vous cede mon illustre
theatre; vous serez mon successeur et voila votre fortune faite; les
notaires et procureurs, ces graves bonshommes que vous avez apercus, ont
dresse les contrats; vous n'avez plus qu'a signer. Quant a moi, je me
marie dans huit jours, une fille charmante,
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