ssaillit au nom que prononcait l'envoye. Il saisit la lettre d'une main
convulsive, et, arretant son ardent coursier avec une impatience qui le
fit cabrer, il resta un instant incertain et farouche, comme s'il eut
voulu repondre a ce message par l'insulte et le mepris; mais, se calmant
presque aussitot, il donna un sequin d'or a l'envoye et descendit de
cheval sur le pont meme, se croyant a la porte de ses appartements, et
laissant trainer dans la poussiere les renes de sa noble monture.
Il etait enferme depuis une heure environ dans un cabinet, lorsque son
ecuyer vint lui dire que le courrier, conformement aux ordres de ses
maitres, allait repartir pour Venise, et qu'auparavant il desirait prendre
les ordres du noble comte. Celui-ci parut s'eveiller comme d'un reve. A un
signe qu'il fit, l'ecuyer lui apporta de quoi ecrire, et le lendemain
matin Giovanna Morosini recut des mains du courrier la reponse suivante:
"Vous me dites, madame, que des bruits de diverses natures circulent dans
le public a propos de votre mariage et de mon depart. Selon les uns,
j'aurais encouru la disgrace de votre famille par quelque action basse ou
quelque liaison honteuse; selon les autres, j'aurais eu d'assez graves
sujets de plainte contre vous pour vous faire l'affront de me retirer a la
veille de l'hymenee. Quant au premier de ces bruits, vous avez trop de
bonte, et vous prenez trop de soin, madame. Je suis fort peu sensible, a
l'heure qu'il est, a l'effet que peut produire mon malheur dans l'opinion
publique; il est assez grand par lui-meme pour que je ne l'aggrave pas par
des preoccupations d'un ordre inferieur. Quant a la seconde supposition
dont vous me parlez, je concois combien votre orgueil en doit souffrir; et
votre orgueil est fonde, madame, sur de trop legitimes pretentions pour
que j'entre en revolte contre ce qu'il peut vous dicter en cet instant.
L'arret est cruel; cependant je bornerai toute ma plainte a vous le dire
aujourd'hui, et demain j'obeirai. Oui, je reparaitrai a Venise, et,
prenant votre invitation pour un ordre, j'assisterai a votre mariage. Vous
voulez que j'etale en public le spectacle de ma douleur, vous voulez que
tout Venise lise sur mon front l'arret de votre dedain. Je le concois, il
faut que l'opinion immole un de nous a la gloire de l'autre. Pour que
votre seigneurie ne soit point accusee de trahison ou de deloyaute, il
faut que je sois raille et montre au doigt comme un sot qui s'est laisse
supplanter d
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