c'est la veille, il faut voir le lendemain; s'il y a
deroute, ce sera autre chose. On annonce toujours une cabale. Les uns la
disent formidable; les autres disent qu'il n'y aura rien; nous verrons
bien. Le moment du calme est venu pour moi qui n'ai plus rien a faire
que d'attendre l'issue. La salle sera comble et il y en aura autant a la
porte. De memoire d'homme, l'Odeon n'a vu une pareille rage. L'empereur
et l'imperatrice assisteront a la premiere; la princesse Mathilde en
face d'eux, le prince et la princesse Napoleon au-dessous. M. de Morny,
les ministeres, la police de l'empereur nous prennent trop de place, et
ce n'est pas le meilleur de l'affaire. Nous aimerions mieux des artistes
aux avant-scenes que des diplomates et des fonctionnaires. Ces gens-la
ne crevent pas leurs gants blancs contre une cabale. Il n'y a que le
prince qui applaudisse franchement.
Enfin, nous y voila! les decors sont riches et laids. L'orchestre sera
rempli de mouchards, rien ne manquera a la fete. Marchal ne demande qu'a
etriper les recalcitrants. Le parterre est pris par des gens en cravate
blanche et en habit noir. A demain des nouvelles.
J'ai vu enfin M. Harmant a l'Odeon. Il m'a dit qu'il viendrait me voir
apres la piece. Mario Proth va faire un article sur _Callirhoe_[1].
Jourdan en raffole, il est de la religion de Marc Valery.
[1] Roman de Maurice Sand.
DXLVIII
AU MEME
Paris, mardi 1er mars 1864.
Deux heures du matin.
Mes enfants,
Je reviens escortee par les etudiants aux cris de "Vive George Sand!
Vive _Mademoiselle La Quintinie!_ A bas les clericaux!" C'est une
manifestation enragee en meme temps qu'un succes comme on n'en a jamais
vu, dit-on, au theatre.
Depuis dix heures du matin, les etudiants etaient sur la place de
l'Odeon, et, tout le temps de la piece, une masse compacte qui n'avait
pu entrer occupait les rues environnantes et la rue Racine jusqu'a ma
porte. Marie a eu une ovation et madame Fromentin aussi, parce qu'on l'a
prise pour moi dans la rue. Je crois que tout Paris etait la ce soir.
Les ouvriers et les jeunes gens, furieux d'avoir ete pris pour des
clericaux a l'affaire de _Gaetana_ d'About, etaient tout prets a faire
le coup de poing. Dans la salle, c'etaient des trepignements et des
hurlements a chaque scene, a chaque instant, en depit de la presence de
toute la famille imperiale. Au reste, tous applaudissaient, l'empere
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