ue, si j'avais quelque gros chagrin, tu ne l'apprendrais pas par les
autres. Ta femme a envoye a Lina des amours de robes. Coco a ete superbe
avec ca, le jour de son bapteme, avant-hier. Il est gentil comme tout.
Nous vous embrassons tendrement, mes chers enfants.
Quand tu iras a Paris, comme j'ai quitte la rue Racine, dont les quatre
etages me fatiguaient trop, tu sauras ou je suis, en allant _rue des
Feuillantines_, 97; mets cela sur ton carnet.
Je te disais que, si j'avais un gros chagrin, je te le dirais. J'ai
eu, non un chagrin, mais un souci cet hiver. Mon budget s'etait trouve
depasse et je me voyais surchargee de travail pour me remettre au pair.
C'est alors que, tous ensemble, nous avons cherche une combinaison
d'economie pour Nohant et que nous l'avons trouvee. Quant a l'arriere,
_Villemer_ l'a deja couvert.
DLVIII
A M. GUILLEMAT, LIBRAIRE, A LA CHATRE[1]
Nohant, 11 juin 1861
Monsieur,
Je suis vivement touchee de la lettre collective qui m'a ete ecrite au
nom de plusieurs artisans et commercants de la Chatre; je vous prie de
leur en exprimer ma reconnaissance et de leur dire que je n'oublierai
jamais notre bon pays et les sympathies que j'y ai rencontrees. Elles
me payent largement des petites persecutions qui m'ont ete suscitees
en d'autres temps et que j'aurais rencontrees partout ailleurs; car le
monde ne comprend pas toujours que l'humanite n'est qu'une seule et meme
famille, et il faudra encore du temps pour que l'on sache ou est le
bonheur.
Il serait dans la sainte fraternite et son jour viendra, les poetes n'en
peuvent pas douter; car c'est le pressentiment qui les fait vivre.
Nous traversons, en attendant, une epoque de civilisation ou le
travail est anobli dans l'opinion des honnetes gens et ou beaucoup
de souffrances et de fatigues ne font rien perdre a l'homme de son
independance et de sa dignite, quand il sait les comprendre.
Plusieurs comprennent: patience avec ceux qui ne comprennent pas!
Je ne m'absente que pour peu de temps, j'espere; mais, de loin ou de
pres, croyez bien, messieurs, que mon coeur restera avec vous et que
votre belle et bonne lettre sera un de mes plus doux souvenirs.
Recevez-en mes remerciements avec l'expression de mon devouement
sincere.
GEORGE SAND.
[1] En reponse a une lettre collective des ouvriers de la
Chatre, faisant leurs adieux a George Sand, qui allait quitter
Nohant, pour s'etablir
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