a Palaiseau (Seine-et-Oise).
DLIX
A MAURICE SAND, A GUILLERY
Palaiseau, 18 juin 1801.
Mon Bouli,
J'ai recu ce matin ta lettre de jeudi soir, et, a l'heure qu'il est, tu
es encore a Nohant. Celle-ci (de lettre) te trouvera a Guillery, d'ou il
me tarde bien d'avoir des nouvelles de votre voyage. Ce brave Cocoton
va-t-il etre etonne de dormir avec ce tapage de chemin de fer, lui qui
ne veut pas que sa mere respire trop fort a cote de lui! Ce sera de quoi
le corriger; car il faudra bien qu'il prenne son parti de ce vacarme.
On dit _dans les journaux_ qu'il pleut a verse dans toute la France, si
bien que je crains que vous ne trouviez pas le beau temps a Guillery.
Mais pourtant le barometre remonte.
Ici, le mauvais temps est supportable. La maison est si gentille et
si bien appropriee a tous mes besoins, je suis si bien installee et
outillee pour ecrire, que je ne m'impatiente pas d'y rester. Hier,
il faisait beau, nous avons fait un tour dans le vallon de la petite
riviere. La riviere est trouble en ce moment, mais le pays est
delicieux. Les gens de la campagne sont tous cultivateurs,
proprietaires, franchement paysans et tres gentils a la rencontre. Ils
vous disent bonjour comme a Gargilesse.
Il y en a qui ont, pour tout avoir, un champ de roses jete au milieu des
champs de ble, et ce champ de roses embaume a un quart de lieue a la
ronde. Je ne sais pas si ce pays serait a ton gout; moi, il me plait
enormement. Il est rustique au possible, ce qui ne i'empeche pas d'avoir
un grand style, a cause de ses beaux arbres et de ses verdures immenses.
Jusqu'ici, je ne sais rien de ma depense, il faut quelques semaines pour
s'en rendre compte. Je sais que la table est exquise et que je
n'ai jamais si bien mange. Les fruits et les legumes, dont je vis
principalement, sont d'un pays de Cocagne. Si nous avions Nohant en
pareille terre, nous serions riches. On se procure au reste ici tout ce
qu'on veut comme a Paris, poissons de mer, etc., en s'entendant avec les
gens de l'endroit, qui sont serviables au possible. Enfin on ne manque
absolument de rien. Ce doit etre aussi cher ou peu s'en faut qu'a Paris;
mais Lucy me parait une grande econome: elle fait un plat pour quatre
jours, et, tous les jours, elle vous le sert tellement transforme, qu'on
croit manger du nouveau. Je ne sais de quoi vivent son mari et elle. Si
cela dure, c'est merveilleux. Les nouveaux balais _swepe vounelo_[
|