a vie, viens! J'ai pour toi un mors fait avec
quinze livres de fer. Quand tu es courrouce, tu ne touches pas a ta
nourriture de trois jours; tu ne bronches pas dans une course de
quarante milles. O Kyrat, toi, la plus chere des choses de ma vie,
viens!"
Le pacha dit: "Aushik, ma patience est epuisee; je t'ordonne de monter
ce cheval a l'instant meme."
Kourroglou dit: "Je suis sur que le cheval me tuera. Beni soit le sel
que tu m'as donne; sois le protecteur de mes pauvres orphelins!...--Tu
peux te tranquilliser; il ne te tuera pas. Je te recommande a la
protection des quatre premiers khalifes." En disant ces mots, le pacha
mit dans le sein de Kourroglou la bourse promise, avec les deux cents
tumans. Ce dernier dit: "Longue vie au pacha!" et il alla vers Kyrat.
Hamza-Beg lui tendit les renes de ses propres mains, et lui dit tout
bas: "Guerrier, la parole d'un guerrier est une parole. La promesse
que je t'ai faite il y a six mois est remplie." Kourroglou lui dit a
l'oreille: "Pour cette conduite genereuse, je te jure, aussi longtemps
que j'aurai un morceau de pain, je le partagerai avec toi." Hamza-Beg
dit: "Prends le sabre suspendu a la selle, attache-le a ta ceinture,
tu trouveras aussi une massue sous les housses." Kourroglou monta
sur Kyrat, ceignit le sabre, et, tirant la massue, il la fit tourner
au-dessus de sa tete. Hamza-Beg recula, comme s'il etait effraye, et se
cacha dans la foule. Quand Kourroglou sentit Kyrat sous lui, il devint
si joyeux, qu'il perdit toute sa raison et sa presence d'esprit. Il
faisait trotter le cheval dans toutes les directions. Le pacha le
rappela: "Aushik, donne-moi le cheval; il me parait tres-doux, ce matin:
laisse-moi essayer de le monter." Kourroglou dit dans son coeur: "Je te
laisserais plutot monter sur mon propre cou;" et il ajouta tout
haut: "Pacha, permets-moi de te chanter un air, d'abord; ensuite, je
descendrai.".
_Improvisation_.--"Ce cheval peut courir, en un jour, d'Ardibil a
Kashan. Qu'importe le sultan, qu'importent tous les pachas a celui qui
est monte sur ce cheval? Ce cheval ne s'arrete que tous les trente
fersakh. O toi, bonheur de ma vie, tu es encore a moi.
"Il a franchi une grande riviere; j'ai reconnu l'empreinte de ses
pas. Oh! je baiserai chacun de tes sabots, je baiserai tes deux yeux
brulants. Je remercie Dieu de te revoir, o mon Kyrat, bonheur de ma vie;
tu es encore a moi."
[Illustration: Chien pele, tu vas emporter la peau du cheval. (Page
21.)
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