d'oeuvre.
Kourroglou etait marque en naissant d'un signe de grandeur. Il avait
de grandes choses a faire, pour lui-meme et pour sa race: venger le
supplice de son pere et affranchir les _vaillants hommes_ de son temps
du joug des _sunnites impies_. Mais comme les vaillants hommes de son
temps, il est ne temeraire et orgueilleux. Une ardente curiosite, une
vanite secrete l'ont deja prive d'une partie des avantages que son pere
le magicien devait lui procurer. On se rappelle que ce pere, ce magicien
(qui, entre nous, me parait etre une personnification du Destin, tout
puissant et aveugle comme lui), lui avait prepare, par ses savantes
incantations, un cheval qui l'eut porte jusqu'au ciel; car il avait des
ailes, et c'est un regard d'irresistible curiosite de Kourroglou qui
les a fait tomber de ses flancs lumineux. Kyrat sera encore le premier
cheval du monde, a dit le pere; mais ce ne sera plus Pegase, et ses
pieds rapides sont pour jamais enchaines a la terre.
Une seconde imprudence de Kourroglou cause l'eternelle douleur et la
mort de son pere. On se rappelle qu'il devait lui rapporter dans un vase
l'ecume d'une source mysterieuse; mais l'ecume le tente, il la boit, et
le pere ne reverra plus la lumiere des cieux. "A partir de ce jour,
tu n'es plus Roushan, dit le magicien, tu es Kourroglou, le fils de
l'aveugle," c'est-a-dire le fils du Destin, et ce nom fera ta gloire et
ta condamnation. Tu as venge ton pere, mais tu l'as laisse perir; tu
seras le plus grand guerrier de ton siecle, mais tu seras maudit; tu
porteras la peine de ton orgueil au milieu de tes prosperites, et, comme
ton pere, tu finiras miserablement.
Jusqu'ici nous avons vu reussir, comme par miracle, toutes les
audacieuses tentatives de Kourroglou. Il a rassemble mille hommes de
chaque tribu, il s'est bati une forteresse que nul souverain n'ose plus
attaquer. Il a enleve Ayvaz et Nighara, ces deux objets de sa tendresse;
mais Ayvaz le trahira, et Nighara, pas plus que ses sept cent
soixante-dix-sept femmes, ne lui fera connaitre la joie et l'orgueil de
la paternite. Chacune de ses entreprises sera couronnee de succes en
apparence, et sera expiee dans l'ensemble mysterieux de sa vie par de
poignantes douleurs. On verra bientot (et on l'a vu deja par ce cri de
l'ame qui lui echappe au milieu de ses plus menacantes improvisations:
_la vie est un fardeau pour moi!_), qu'il pressent la fatalite attachee
a tous ses pas. L'orgueil est son mauvais ange, l'o
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