me sans defense. Les Persans haissent, a cause de quelques
differences de religion, les Turcs sunnites, plus encore que les
chretiens, s'il est possible. De sorte que Kourroglou cherche une
consolation dans la pensee qu'il a trouve que son superieur a tous
egards n'etait pas un sunnite, mais un Armenien. (_Note de U.
Chodzko_.)
Cet Armenien est evidemment le plus grand personnage du roman de
Kourroglou: et n'est-il pas remarquable que ce heros, si superieur a
Kourroglou lui-meme par son sang-froid, son courage, sa force et sa
generosite, soit reste chretien dans l'imagination des rapsodes? Est-ce
seulement par exces de haine contre les sunnites qu'on lui attribue un
si grand role? Dans un autre endroit, nous avons vu la princesse Nighara
s'attendrir tres-particulierement, jusqu'a vouloir se donner la mort,
pour un voyageur europeen que Kourroglou menacait de sa fureur. Il faut
bien que dans ces tetes poetiques de l'Orient le chretien soit un etre
superieur, en depit de la repulsion fanatique.]
Cette derniere strophe, si courte et si bizarre, nous parait la plus
belle et la plus orientale des improvisations de Kourroglou. Elle a la
concision mysterieuse du style biblique. L'ame coupable s'y devoile en
voulant cacher sa honte et son effroi sous des metaphores. L'orgueil
blesse, la colere, la vengeance toujours vivantes dans le coeur du
meurtrier, entonnent le chant du triomphe; les mechantes passions
acceptent la mort de l'homme juste et genereux _comme un bouquet de
roses_. Puis aussitot le desespoir du maudit etouffe l'hymne impie. _Oh!
que tes montagnes se couvrent de brouillards!_ la nuit descend sur
les yeux de Cain. _Kourroglou, que ton bras soit desseche!_ Et le bon
refrain si bete et si sombre: "J'ai rencontre un marchand!" _en dit plus
qu'il n'est gros_. Nous connaissons certains refrains romantiques des
ballades modernes, qui cherchent le terrible et le naif, a l'imitation
de ces formes populaires. Aucun ne m'a fait l'impression de ce: _j'ai
rencontre un marchand_, qui vient si a point, qui resume si bien le
souvenir d'une action qu'on ne veut pas s'avouer a soi-meme, et qui, ne
cherchant ni le naif, ni le terrible, rencontre l'un et l'autre a la
grande honte des faiseurs de nos jours. Kourroglou devait etre un grand
poete. Il ne pensait qu'a la rime et trouvait l'effet. M'est avis
qu'aujourd'hui nous faisons le contraire.
A partir de ce moment, la fatalite s'appesantit sur Kourroglou. Apres
quelques exp
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