je partis
pour le Caire. Le janissaire du consulat ouvrait la marche, le drogman
etait avec moi, et toute la jeunesse paradait a ma suite: je m'apercus
que cela ne deplaisait nullement aux Arabes, qui criaient: _Fransaoui_
(Francais) avec une certaine satisfaction.
Nous arrivions au Caire au bon moment; ce jour-la et le lendemain
etaient ceux de la fete que les musulmans celebraient pour la naissance
du Prophete. La grande et importante place d'_Ezbekieh_, dont
l'inondation occupe le milieu, etait couverte de monde entourant les
baladins, les danseuses, les chanteuses, et de tres-belles tentes sous
lesquelles on pratiquait des actes de devotion. Ici, des musulmans assis
lisaient en cadence des chapitres du Coran; la, trois cents devots,
ranges en lignes paralleles, assis, mouvant incessamment le haut de leur
corps en avant et en arriere comme des poupees a charniere, chantaient
en choeur, _La Ilah ill Allah_ (Il n'y a point d'autre dieu que Dieu);
plus loin, cinq cents energumenes, debout, ranges circulairement et se
sentant les coudes, sautaient en cadence, et poussaient, du fond de leur
poitrine epuisee, le nom d'_Allah_, mille fois repete, mais d'un ton si
sourd, si caverneux, que je n'ai entendu de ma vie un choeur plus
infernal; cet effroyable bourdonnement semblait sortir des profondeurs
du Tartare. A cote de ces religieuses demonstrations, circulaient les
musiciens et les filles de joie; des jeux de bague, des escarpolettes de
tout genre etaient en pleine activite: ce melange de jeux profanes et de
pratiques religieuses, joint a l'etrangete des figures et a l'extreme
variete des costumes, formait un spectacle infiniment curieux, et que je
n'oublierai jamais. En quittant la place, nous traversames une partie de
la ville pour gagner notre logement.
On a dit beaucoup de mal du Caire: pour moi, je m'y trouve fort bien; et
ces rues de 8 a 10 pieds de largeur, si decriees, me paraissent
parfaitement bien calculees pour eviter la trop grande chaleur. Sans
etre pavees, elles sont d'une proprete fort remarquable. Le Caire est
une ville tout a fait monumentale; la plus grande partie des maisons est
en pierre, et a chaque instant on y remarque des portes sculptees dans
le gout arabe; une multitude de mosquees, plus elegantes les unes que
les autres, couvertes d'arabesques du meilleur gout, et ornees de
minarets admirables de richesse et de grace, donnent a cette capitale un
aspect imposant et tres-varie. Je l'ai parcour
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