cheval, et bien que celui-ci
redoublat de vitesse, il lui enleva les quatre fers auquel il en
substitua quatre autres; et tout cela en moins d'une minute, le plus
aisement du monde et sans ralentir la course du cheval.
--Tu es un artiste accompli, s'ecria le pere; tu es aussi sur de ton
affaire, que ton frere l'est de la sienne; et je ne saurais en verite
decider lequel de vous deux merite le plus la maison.
--Attendez que j'aie aussi fait mes preuves, dit alors le troisieme
fils.
La pluie commencait a tomber en ce moment.
Notre homme tira son epee, et se mit a en decrire des cercles si
rapides au-dessus de sa tete, que pas une seule goutte d'eau ne tomba
sur lui; la pluie redoublant de force, ce fut bientot comme si on la
versait a seaux des hauteurs du ciel. Cependant notre maitre d'armes qui
s'etait borne a agiter son epee toujours plus vite, demeurait a sec sous
son arme, comme s'il eut ete sous un parapluie ou sous un toit.
A cette vue, l'admiration de l'heureux pere fut au comble, et il
s'ecria:
--C'est toi qui as donne la preuve d'adresse la plus etonnante; c'est a
toi que revient la maison.
Les deux fils aines approuverent cette decision, et joignirent leurs
eloges a ceux de leur pere. Ensuite, comme ils s'aimaient tous trois
beaucoup, ils ne voulurent pas se separer, et continuerent de vivre
ensemble dans la maison paternelle, ou ils exercerent chacun leur
metier. Leur reputation d'habilete s'etendit au loin, et ils devinrent
bientot riches. C'est ainsi qu'ils vecurent heureux et consideres
jusqu'a un age tres-avance; et lorsqu'enfin l'aine tomba malade et
mourut, les deux autres en prirent un tel chagrin qu'ils ne tarderent
pas a le suivre.
On leur rendit les derniers devoirs. Le pasteur de la commune fit
observer avec raison que trois freres qui, pendant leur vie avaient ete
doues d'une si grande adresse et unis par une si touchante amitie, ne
devaient pas non plus etre separes dans la mort. En consequence, on les
placa tous trois dans le meme tombeau.
L'AIEUL ET LE PETIT-FILS.
Il y avait une fois un homme vieux, vieux comme les pierres. Ses yeux
voyaient a peine, ses oreilles n'entendaient guere, et ses genoux
chancelaient. Un jour, a table, ne pouvant plus tenir sa cuiller, il
repandit de la soupe sur la nappe, et meme un peu sur sa barbe.
Son fils et sa bru en prirent du degout, et desormais le vieillard
mangea seul, derriere le poele, dans un petit plat de terre a peine
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