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nous postons derriere une barricade. Au premier feu de la troupe, mon pauvre Jean tombe roide mort a cote de moi. Alors je perds la raison, je deviens furieux. Ah! je ne me serais jamais cru capable de repandre tant de sang. Je m'y suis baigne pendant trois jours jusqu'a la ceinture, je puis dire; car j'en etais couvert, et non pas seulement de celui des autres, mais du mien qui coulait par plusieurs blessures; mais je ne sentais rien. Enfin, le 2 aout, je me suis trouve a l'hopital, sans savoir comment j'y etais venu. Quand j'en suis sorti, j'etais plus miserable que jamais, et j'avais le coeur navre; mon frere Jean n'etait plus avec moi, et la royaute etait retablie. J'etais trop faible pour travailler, et puis ces journees de juillet m'avaient laisse dans la tete je ne sais quelle fievre. Il me semblait que la colere et le desespoir pouvaient faire de moi un artiste; je revais des tableaux effrayants; je barbouillais les murs de figures que je m'imaginais dignes de Michel-Ange. Je lisais les _Iambes_ de Barbier, et je les faconnais dans ma tete en images vivantes. Je revais, j'etais oisif, je mourais de faim, et ne m'en apercevais pas. Cela ne pouvait pas durer bien longtemps, mais cela dura quelques jours avec tant de force, que je n'avais souci de rien autour de moi. Il me semblait que j'etais contenu tout entier dans ma tete, que je n'avais plus ni jambes, ni bras, ni estomac, ni memoire, ni conscience, ni parents, ni amis. J'allais devant moi par les rues, sans savoir ou je voulais aller. J'etais toujours ramene, sans savoir comment, au tour des tombes de Juillet. Je ne savais pas si mon pauvre frere etait enterre la, mais je me figurais que lui ou les autres martyrs, c'etait la meme chose, et que, presser cette terre de mes genoux, c'etait rendre hommage a la cendre de mon frere. J'etais dans un etat d'exaltation qui me faisait sans cesse parler tout haut et tout seul. Je n'ai conserve aucun souvenir de mes longs discours; il me semble que le plus souvent je parlais en vers. Cela devait etre mauvais et bien ridicule, et les passants devaient me prendre pour un fou. Mais moi, je ne voyais personne, et je ne m'entendais moi-meme que par instants. Alors je m'efforcais de me taire, mais je ne le pouvais pas. Ma figure etait baignee de sueur et de larmes, et ce qu'il y a de plus etrange, c'est que cet etat de desespoir n'etait pas sans quelque douceur. J'errais toute la nuit, ou je restais assis sur quelque borne, a
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