, ne s'etait-il
pas revolte des la premiere heure contre le danger d'une inflexible et
decourageante ressemblance entre les planetes?
Hallucine de la sorte par le desespoir, il monologua jusqu'a pretendre
que la navigation trans-etherienne etait indirigeable, et que les
aerostats ne pouvant que monter, monter toujours, leur seule utilite
devait etre de transporter l'homme dans un astre different, loin des
femmes frivoles et des belles-meres par trop terrestres.
Cette nouvelle fantaisie s'implanta dans sa cervelle a tel point qu'il
resolut de grimper jusqu'a la planete la plus proche, c'est-a-dire
jusqu'a la lune, se bercant de l'idee qu'il suffirait de franchir a
l'etat somnambulique les regions privees d'air respirable et d'atteindre
le point precis ou les forces de la pesanteur bifurquent a angle droit
vers la sphere voisine.
Fort de ce calcul, Jonathan, toujours navre, s'installa secretement dans
son aeroscaphe tout neuf, prononca le "lachez tout" qui impliquait
aussi Mme Sharp et Mme Bridge, se magnetisa d'un hypnotisme soigneux et
parvint, frappe de catalepsie, aux plus hautes solitudes du ciel.
Dormait-il ou non en voguant dans l'immensite bleue? Il l'ignorait, mais
son esprit avait garde la notion des incidents du voyage, et tout a
coup, le regard fixe sur les nuees planant en bas, il remarqua que
la nacelle avait decrit un mouvement de biais et s'etait mise a
redescendre.
O joie profonde, exaltation surhumaine! Jonathan quittait la route
territoriale et nageait dans la banlieue celeste de la lune!
Il s'arracha violemment a sa torpeur et s'appretait a faire une joyeuse
et triomphale entree dans ce globe inconnu dont il voyait deja
se debrouiller la superficie, ou tant d'etranges emerveillements
l'attendaient sans doute.
Mais, helas! a mesure qu'il se rapprochait de sa destination, il
discernait des sites familiers.
Bientot, tristesse amere, il reconnaissait les clochers, les cheminees
d'usines, le camionnage tumultueux et la foule toujours soucieuse et
affairee de sa ville natale.
Dix minutes plus tard, desillusion complete, il jetait l'ancre dans
un jardinet tout pareil a celui qu'il avait quitte le matin, et, tout
d'abord, il y rencontrait, affectant l'inquietude et prodiguant les
reproches, une autre epouse Bridge et une seconde veuve Sharp qu'il lui
etait impossible de ne pas considerer comme une stricte imitation des
deux furies dont il avait tente de se delivrer par l'exil ascensionnel.
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