Annah Rowlands, de stature et de tournure patricienne, mais
sans maigreur, possede une foule d'attraits que releve on ne sait quoi
de pittoresque et d'original. D'apres les on-dit, elle descendrait,
par la ligne maternelle, des peuplades errantes de l'Amerique vierge
d'autrefois: il lui reste l'heritage plastique d'une suite d'indigenes
ayant maintenu leur splendeur de race malgre les croisements avec
l'extenuee civilisation. De la les multiples aspects d'Indienne
tenebreuse et d'Anglaise raffinee qui se confondent, chez elle, en une
indicible harmonie. Ses longs cheveux d'ebene et de satin ont la frisure
souple d'une toison de blonde; le front bas s'arrondit sur des saillies
vigoureuses; l'ouverture des yeux, etroite comme un mince trait de
plume, se prolonge jusque sur les tempes, mais les sourcils chatains
dessinent une courbe pleine de noblesse; la pupille est d'un noir
d'encre de Chine, mais elle eclate dans un iris du bleu le plus doux;
ses levres sont passablement sensuelles, mais armees d'un sourire fier;
on devine, dans tout cela, l'elevation des sentiments et la fougue des
instincts prompts au caprice, une gravite qui sait n'etre pas dupe
d'elle-meme et des tendances a la fantaisie qu'une volonte tres decidee
refoule et comprime au besoin.
En ce moment, par exemple, Mme Rowlands est seule dans son salon,
elle est frappee de melancolie, elle se debat contre une foule de
preoccupations. Eh bien! elle reste assise bien droite sur le divan,
elle ne prend nulle pose decouragee, aucun froncement ne trouble l'arc
majestueux de ses sourcils, elle ne veut pas de mise en scene a sa
douleur et n'en calcule pas l'effet tragique par une oeillade a la
glace. Lorsqu'elle sort de sa reverie, elle parcourt quelques passages
du _Courrier des Eaux_, journal d'une futilite manifeste, et pourtant
elle trouve le moyen de preter quelque attention a cette lecture, elle
ne s'impatiente pas de la lumiere d'or et du souffle de l'ete qui
rentrent a flots par les fenetres grandes ouvertes et meme elle ne
dedaigne pas d'admirer par instants les longues fleches enflammees du
soleil d'apres-midi, se brisant sur les verdures ondoyantes et sur les
touffes de fleurs du joli jardin qui entoure le Cottage.
Et n'allez pas croire a quelque vain souci d'amour-propre resultant de
la querelle avec les "Debarrasseurs." Ce ne serait la qu'un incident
tout a fait secondaire. Les ennuis de Mme Rowlands sont serieux; le
coeur de Mme Rowlands est en deui
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