ce grand commerce
auquel Paris donne le cachet de son elegance. Cela sent le bois neuf,
la peinture fraichie, le vernis reluisant, et, dans la poussiere des
mansardes, par les escaliers miserables ou le peuple met toutes les
boues qu'il a traversees, trainent des copeaux de bois de rose, des
rognures de satin et de velours, des parcelles de clinquant, tous les
debris du luxe employe pour l'eblouissement des yeux enfantins. Puis les
etalages se parent. Derriere les vitrines claires, la dorure des livres
d'etrennes monte comme un flot scintillant sous le gaz, les etoffes de
couleurs variees et tentantes montrent leurs plis cassants et lourds,
pendant que les demoiselles de magasin, les cheveux en etage, un ruban
sous leur col, font l'article, un petit doigt en l'air, ou remplissent
des sacs de moire, dans lesquels les bonbons tombent en pluie de perles.
Mais, en face de ce commerce bourgeois, bien chez lui, chauffe,
retranche derriere ses riches devantures, s'installe l'industrie
improvisee de ces baraques en planches, ouvertes au vent de la rue, et
dont la double rangee donne aux boulevards l'aspect d'un mail forain.
C'est la qu'est le vrai interet et la poesie des etrennes. Luxueuses
dans le quartier de la Madeleine, bourgeoises vers le boulevard
Saint-Denis, plus "peuple" en remontant a la Bastille, ces petites
baraques se modifient pour leur public, calculent leurs chances de
succes au porte-monnaie plus ou moins garni des passants. Entre elles,
se dressent des tables volantes, chargees de menus objets, miracles de
la petite industrie parisienne, batis de rien, freles et chetifs, et que
la vogue entraine quelquefois dans son grand coup de vent, a cause de
leur legerete meme. Enfin, au long des trottoirs, perdues dans la file
des voitures qui frolent leur marche errante, les marchandes d'oranges
completent ce commerce ambulant, entassent les fruits couleur de soleil
sous leur lanterne de papier rouge, criant: "La Valence," dans le
brouillard, le tumulte, la hate excessive que Paris met a finir son
annee.
D'ordinaire, M. Joyeuse faisait partie de cette foule affairee qui
circule avec un bruit d'argent en poche et des paquets dans toutes
les mains. Il courait en compagnie de Bonne Maman a la recherche des
etrennes pour ces demoiselles, s'arretait devant ces petits marchands
emus du moindre client, sans l'habitude de la vente, et qui ont base sur
cette courte phase des projets de benefices extraordinaires.
Et c'eta
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