ute dans ses parois obscures que les visiteurs, tout
d'abord, ont cru la nourricerie deserte. On distingue pourtant dans le
fond un groupe belant, geignant et remuant... Deux femmes de campagne,
l'air dur, abruti, la face terreuse, deux "nourrices seches" qui
meritent bien leur nom, sont assises sur des nattes, leur nourrisson sur
les bras, chacune ayant devant elle une grande chevre qui tend son pis,
les pattes ecartees. Le directeur parait joyeusement surpris:
"Ma foi, Messieurs, voici qui se trouve bien... Deux de nos enfants sont
en train de faire un petit lunch... Nous allons voir comment nourrices
et nourrissons s'entendent.
--Qu'est-ce qu'il a?... Il est fou," se dit Jenkins terrifie.
Mais le directeur est tres lucide au contraire, et lui-meme a savamment
organise la mise en scene, en choisissant deux betes patientes et
douces, et deux sujets exceptionnels, deux petits enrages qui veulent
vivre a tout prix et ouvrent le bec a n'importe quelle nourriture comme
des oiseaux encore au nid.
"Approchez-vous, Messieurs, et rendez-vous compte."
C'est qu'ils tetent veritablement, ces cherubins. L'un, blotti, ramasse
derriere le ventre de la chevre, y va de si bon coeur qu'on entend les
glouglous du lait chaud descendre jusque dans les petites jambes
agitees par le contentement du repas. L'autre, plus calme, etendu
paresseusement, a besoin de quelques petits encouragements de sa
gardienne auvergnate:
"Tete, mais tete donc, bougrri!..."
Puis, a la fin, comme s'il avait pris une resolution subite, il se met
a boire avec tant d'ardeur que la femme se penche vers lui, surprise de
cet appetit extraordinaire, et s'ecrie en riant:
"Ah! le bandit, en a-t-il de la malice... c'est son pouce qu'il tete a
la place de la cabre."
Il a trouve cela, cet ange, pour qu'on le laisse tranquille...
L'incident ne fait pas mauvais effet; au contraire, M. de la Perriere
s'amuse beaucoup de cette idee de nourrice, que l'enfant a voulu leur
faire une niche. Il sort de la Nursery enchante. "Positivement en...
en... enchante," repete-t-il la tete branlante, en montant le grand
escalier aux murs sonores, decores de bois de cerf, qui conduit au
dortoir.
Tres claire, tres aeree, cette vaste salle occupant toute une facade
a de nombreuses fenetres, des berceaux espaces, tendus de rideaux
floconneux et blancs comme des nuees. Des femmes vont et viennent dans
la large travee du milieu, des piles de linge sur les bras, des clefs a
la
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