emblait un repos apres celle qu'il venait
de traverser. Mais au bout du pont, quand la premiere voiture atteignit
l'arc de triomphe, des petards eclaterent, les tambours battirent aux
champs, saluant l'entree du monarque sur les terres de son feal, et
pour comble d'ironie, dans le crepuscule, tout en haut du chateau, une
flambee de gaz gigantesque illumina soudain le toit de lettres de feu
sur lesquelles la pluie, le vent faisaient courir de grandes ombres mais
qui montraient encore tres lisiblement: "Viv" L" B"Y M""HMED."
"Ca, c'est le bouquet," fit le malheureux Nabab qui ne put s'empecher
de rire, d'un rire bien piteux, bien amer. Mais non, il se trompait, le
bouquet l'attendait a la porte du chateau; et c'est Amy Ferat qui vint
le lui presenter, sortie du groupe des Arlesiennes qui abritaient sous
la marquise la soie changeante de leurs jupes et les velours ouvres des
coiffes, en attendant le premier carrosse. Son paquet de fleurs a la
main, modeste, les yeux baisses et le mollet fripon, la jolie comedienne
s'elance a la portiere dans une pose saluante, presque agenouillee,
qu'elle repetait depuis huit jours. Au lieu du bey, Jansoulet descendit,
raide, emu, passa sans seulement la voir. Et comme elle restait la, son
bouquet a la main, avec l'air bete d'une feerie ratee:
"Remporte ton fleurs, ma petite, ton affaire est manquee, lui dit
Cardailhac avec sa blague de Parisien qui prend vite son parti des
choses... Le bey ne vient pas... il avait oublie son mouchoir, et comme
c'est de ca qu'il se sert pour parler aux dames, tu comprends..."
* * * * *
Maintenant, c'est la nuit. Tout dort dans Saint-Romans, apres l'immense
brouhaha de la journee. Une pluie torrentielle continue a tomber, et
dans le grand parc ou les arcs de triomphe, les trophees dressent
vaguement leurs carcasses detrempees, on entend rouler des torrents le
long des rampes de pierre transformees en cascades. Tout ruisselle et
s'egoutte. Un bruit d'eau, un immense bruit d'eau. Seul dans sa chambre
somptueuse au lit seigneurial tendu de lampes a bandes pourpres, le
Nabab veille encore, marche a grands pas, remuant des pensees sinistres.
Ce n'est plus son affront de tantot qui le preoccupe, cet outrage public
a la face de trente mille personnes; ce n'est pas non plus l'injure
sanglante que le bey lui a adressee en presence de ses mortels ennemis.
Non, ce Meridional aux sensations toutes physiques, rapides comme le
tir de
|