abus effrontes, Gery avait fait un memoire
detaille, avec preuves a l'appui; mais c'etait le dossier de la _Caisse
territoriale_ qu'il recommandait specialement a Jansoulet, comme le vrai
danger de la situation. Dans les autres affaires, l'argent seul courait
des risques; ici, l'honneur etait en jeu. Attires par le nom du Nabab,
son titre du president du conseil, dans cet infame guet-apens, des
centaines d'actionnaires etaient venus, chercheurs d'or a la suite de ce
mineur heureux. Cela lui credit une responsabilite effroyable, dont il
se rendrait compte en lisant le dossier de l'affaire, qui n'etait que
mensonge et flouerie d'un bout a l'autre.
"Vous trouverez le memoire dont je vous parle, disait Paul de Gery en
terminant sa lettre, dans le premier tiroir de mon bureau. Diverses
quittances y sont jointes. Je n'ai pas mis cela dans votre chambre,
parce que je me mefie de Noel comme des autres. Ce soir, en partant, je
vous remettrai la clef. Car, je m'en vais, mon cher bienfaiteur et ami,
je m'en vais, plein de reconnaissance pour le bien que vous m'avez fait,
et desole que votre confiance aveugle m'ait empeche de vous le rendre
en partie. A l'heure qu'il est, ma conscience d'honnete homme me
reprocherait de rester plus longtemps inutile a mon poste. J'assiste a
un desastre, au sac d'un Palais d'Ete contre lesquels je ne puis rien;
mais mon coeur se souleve a tout ce que je vois. Je donne des poignees
de main qui me deshonorent. Je suis votre ami et je parais leur
complice. Et qui sait si, a force de vivre dans une pareille atmosphere,
je ne le serais pas devenu?"
Cette lettre, qu'il lut lentement, profondement, jusque dans le blanc
des lignes et l'ecart des mots, fit au Nabab une impression si vive,
qu'au lieu de se coucher, il se rendit tout de suite aupres de son jeune
secretaire. Celui-ci occupait tout au bout des salons un cabinet de
travail dans lequel on lui faisait son lit sur un divan, installation
provisoire qu'il n'avait jamais voulu changer. Toute la maison dormait
encore. En traversant les grands salons en enfilade, qui, ne servant pas
a des receptions du soir, gardaient constamment leurs rideaux ouverts,
et s'eclairaient a cette heure des lueurs vagues d'une aube parisienne,
le Nabab s'arreta, frappe par l'aspect de souillure triste que son luxe
lui presentait. Dans l'odeur lourde de tabac et de liqueurs diverses qui
flottait, les meubles, les plafonds, les boiseries apparaissaient, deja
fanes et encor
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