dee, un peu gauche. Pourtant il expliqua fort bien le motif
de sa visite. Il etait adresse a M. Joyeuse par un brave homme de
sa connaissance, le vieux Passajon, pour prendre des lecons de
comptabilite. Un de ses amis se trouvait engage dans de grosses affaires
d'argent, une commandite considerable. Lui aurait voulu le servir en
surveillant l'emploi des capitaux, la droiture des operations; mais il
etait avocat, peu au courant des systemes financiers, du langage de la
banque. Est-ce que M. Joyeuse ne pourrait pas, en quelques mois, a trois
ou quatre lecons par semaine...
"Mais si bien, Monsieur, si bien... begayait le pere tout etourdi de
cette chance inesperee... Je me charge parfaitement, en quelques mois,
de vous rendre apte a ce travail de verification... Ou prendrons-nous
nos lecons?
--Chez vous, si vous le permettez, dit le jeune homme, car je tiens a ce
qu'on ne sache pas que je travaille... Seulement, je serai desole si,
chaque fois que j'arrive, je mets tout le monde en fuite comme ce soir."
En effet, des les premiers mots du visiteur, les quatre tetes bouclees
avaient disparu, avec des petits chuchotements, des froissements de
jupes, et le salon paraissait bien nu, maintenant que le grand cercle de
lumiere blanche etait vide.
Toujours tres ombrageux quand il s'agissait de ses filles, M. Joyeuse
repondit, que "ces demoiselles se retiraient tous les soirs de bonne
heure;" et cela d'un petit ton bref qui signifiait tres nettement:
"Parlons de nos lecons, jeune homme, je vous prie." On convint alors des
jours, des heures libres dans la soiree.
Quant aux conditions, ce serait ce que Monsieur voudrait.
Monsieur dit un chiffre.
Le comptable devint tout rouge: c'etait ce qu'il gagnait chez
Hemerlingue.
"Oh! non, c'est trop."
Mais l'autre ne l'ecoutait plus, cherchait, tortillait sa langue, comme
pour une chose tres difficile a dire, et tout a coup resolument:
"Voila votre premier mois...
--Mais, Monsieur..."
Le jeune homme insista. On ne le connaissait pas. Il etait juste qu'il
payat d'avance... Evidemment Passajon l'avait prevenu... M. Joyeuse le
comprit et dit a demi-voix: "Merci, oh! merci..." tellement emu, que les
paroles lui manquaient. La vie, c'etait la vie pendant quelques mois,
le temps de se retourner, de retrouver une place. Ses mignonnes ne
manqueraient de rien. Elles auraient leurs etrennes. O Providence!
--Alors a mercredi... monsieur?...
--De Gery... Paul de Gery."
Et
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