pour
le rendre luisant et ses mains etaient presqu'exemptes de goudron. Le
regard de gratitude qu'elle lui adressa en dit plus que ses paroles. Il
y a chez les hommes de coeur un langage particulier qui fait qu'ils se
devinent et s'entr'aident au besoin. Le remerciment qu'elle lui exprima
lui fit venir les larmes aux yeux. Deux protecteurs etaient maintenant
acquis a Madame St.-Aubin. Tom. le fort et robuste matelot et O'Brien le
cuisinier. Le premier etait respecte de l'equipage du vaisseau, car il
avait dans maintes occasions prouve une force veritablement herculeenne.
Le soir donc du jour dont nous venons de parler, il annonca au souper,
qu'il tannerait vive la peau a celui qui oserait encore tourmenter la
pauvre Dame Acadienne. Et certes, chacun savait que pour ces sortes de
justices sommaires, Tom n'avait jamais manque de tenir sa promesse. Ce
fut en consequence de cet avertissement, que si Madame St.-Aubin ne
rencontra pas plus de sympathie et de prevenance de la part des gens
du vaisseau, du moins ne fut-elle pas autant en butte a leurs mauvais
traitements.
Cependant le navire pousse par une forte brise du nord-est etait sorti
du golfe et on apercevait deja les Isles du Grand Fleuve.
On etait au soir de la troisieme journee depuis les incidents que nous
venons de rapporter. Le navire avait toujours fait bonne route, car le
vent fraichissant de plus en plus, incline sur son bord, ses hautes
hunes baisaient presque la mer houleuse qui s'elevaient en de terribles
tourbillons. Mais les malheureux emigrants presses les uns contre les
autres, dans la cale, faisaient d'inutiles efforts pour s'empecher de se
heurter a chaque secousse sur une parois ou sur l'autre du batiment.
Les cris de douleur des enfants, les lamentations des femmes, joints
au bruit des manoeuvres des matelots, l'obscurite et l'infection qui
regnaient dans ce cloaque, de plus, les sifflements furieux du vent,
les cordages fremissants et palpitants au souffle de la tempete, mais
par-dessus tout la nuit qui s'approchait, la nuit avec son triste voile
de misere, d'angoisses et d'inquietudes; et le vaisseau comme frappe
d'epouvante refusant d'obeir au gouvernail: telle etait la scene
qu'offrait le "Boomerang".
Nous etions aux grandes mers de mai; et il etait rare qu'a cette epoque
les belles rives du Saint-Laurent ne fussent pas temoins de quelques
sinistres maritimes.
Par l'ordre du Capitaine on avait a peu pres cargue toutes les voiles,
car
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