s mene devant des robes
rouges; une pale figure se dresse devant moi et s'ecrie: "Le voila!" C'est
mon fils. Je nie. Mon dessin et mes propres memoires me sont representes
avec ma signature. Vous le voyez, la realite se mele au songe et ajoute a
mon epouvante. J'assiste enfin a toutes les peripeties d'un proces
criminel. J'entends ma condamnation: "Oui, il est coupable." On me conduit
dans une salle obscure ou viennent me joindre le bourreau et ses aides. Je
veux fuir, des liens de fer m'arretent, et une voix me crie: "Il n'est
plus pour toi de misericorde!" J'eprouve jusqu'a la sensation du froid des
ciseaux sur mon cou. Un pretre prie a mes cotes et m'invite parfois au
repentir. Je le repousse avec mille blasphemes. Demi-mort, je suis cahote
par les mouvements d'une charrette sur le pave d'une ville; j'entends les
murmures de la multitude comparables a ceux des vagues de la mer, et,
au-dessus, les imprecations de mille voix. J'arrive en vue de l'echafaud.
J'en gravis les degres. Je ne me reveille que juste a l'heure ou le
couteau glisse entre les rainures; quand, toutefois, mon reve ne continue
pas, quand je ne suis pas traine en presence de celui que j'ai voulu nier,
de Dieu meme, pour y avoir les yeux brules par la lumiere, pour y plonger
dans l'abime de mes iniquites, pour y etre supplicie par le sentiment de
ma propre infamie. J'etouffe, la sueur m'inonde, l'horreur comble mon ame.
Je ne sais plus combien de fois deja j'ai subi ce supplice.
"J'ai recours a l'opium. Mes douleurs en combattent l'effet, et rien n'est
plus atroce que cette lutte de la souffrance contre les fatigues du corps.
Et il n'y a pas a pretendre que je puisse me soustraire a cela. Je ne puis
pas mourir. Que deviendrait mon enfant? Il me possede, je suis sa proie,
sa bete de somme; il tient ferme dans sa main les renes du mors que j'ai a
la bouche, et, par instants, il tire a me faire hurler. En d'autres termes,
il me rive a la vie, il cloue mes membres sur cette terre, pour que le
remords puisse a l'aise devorer et redevorer mon coeur, mes entrailles.
"Ce n'est rien encore. Au lieu de dormir, souvent je me leve; comme un
fantome, j'erre a travers les rues, je gagne les champs, je vais m'asseoir
dans quelque endroit ecarte. Les millions d'etoiles qui emergent dans
l'espace me semblent autant d'yeux fixes sur moi, et je courbe
honteusement la tete: le front dans les mains, en depit de moi-meme, je me
recueille, je plonge dans le passe, je recons
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