leto stupefait.
--Eh oui, mon enfant. Tu en es donc toujours epris?
--C'est mon amie, illustrissime.
--Amie veut dire chez nous egalement soeur et amante. Laquelle des deux?
--Soeur, mon maitre.
--Eh bien, je puis, sans te faire de peine, te dire ce que j'en pense.
Ton idee n'a pas le sens commun. Pour remplacer la Corilla il faut un
ange de beaute, et ta Consuelo, je m'en souviens bien maintenant, est
plus que laide, elle est affreuse."
Le comte fut aborde en cet instant par un de ses amis, qui l'emmena d'un
autre cote, et il laissa Anzoleto consterne se repeter en
soupirant:--Elle est affreuse!...
VII.
Il vous paraitra peut-etre etonnant, et il est pourtant tres certain,
cher lecteur, que jamais Anzoleto n'avait eu d'opinion sur la beaute ou
la laideur de Consuelo. Consuelo etait un etre tellement isole,
tellement ignore dans Venise, que nul n'avait jamais songe a chercher
si, a travers ce voile d'oubli et d'obscurite, l'intelligence et la
bonte avaient fini par se montrer sous une forme agreable ou
insignifiante. Porpora, qui n'avait plus de sens que pour l'art, n'avait
vu en elle que l'artiste. Les voisins de la _Corte-Minelli_ voyaient
sans se scandaliser ses innocentes amours avec Anzoleto. A Venise on
n'est point feroce sur ce chapitre-la. Ils lui predisaient bien parfois
qu'elle serait malheureuse avec ce garcon sans aveu et sans etat, et ils
lui conseillaient de chercher plutot a s'etablir avec quelque honnete et
paisible ouvrier. Mais comme elle leur repondait qu'etant sans famille
et sans appui elle-meme, Anzoleto lui convenait parfaitement; comme,
depuis six ans, il ne s'etait pas ecoule un seul jour sans qu'on les vit
ensemble, ne cherchant point le mystere, et ne se querellant jamais, on
avait fini par s'habituer a leur union libre et indissoluble. Aucun
voisin ne s'etait jamais avise de faire la cour a l'_amica_ d'Anzoleto.
Etait-ce seulement a cause des engagements qu'on lui supposait, ou bien
etait-ce a cause de sa misere? ou bien encore n'etait-ce pas que sa
personne n'avait exerce de seduction sur aucun d'eux? La derniere
hypothese est fort vraisemblable.
Cependant chacun sait que, de douze a quatorze ans, les jeunes filles
sont generalement maigres, decontenancees, sans harmonie dans les
traits, dans les proportions, dans les mouvements. Vers quinze ans elles
se _refont_ (c'est en francais vulgaire l'expression des matrones); et
celle qui paraissait affreuse naguere repara
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