mensonge qui avait dure dix ans. Dix ans d'enivrants succes et
d'inquietudes indicibles, dix ans ou elle avait chante avec chaque fois
la peur d'etre trahie entre deux couplets, ou le moindre mot sur les
menages irreguliers la blessait comme une allusion, ou l'expression de
sa figure s'etait amollie jusqu'a cet air d'humilite douce, de coupable
demandant grace. Ensuite la certitude d'etre abandonnee lui avait gate
meme ces joies d'emprunt, fane son luxe; et que d'angoisses, que de
souffrances silencieusement subies, d'humiliations incessantes jusqu'a
la derniere, la plus epouvantable de toutes!
Tandis qu'elle repasse ainsi douloureusement sa vie dans la fraicheur du
soir et le calme de la maison deserte, des rires sonores, un entrain de
jeunesse heureuse montent de l'etage au-dessous; et se rappelant les
confidences d'Andre, sa derniere lettre ou il lui annoncait la grande
nouvelle, elle cherche a distinguer parmi toutes ces voix limpides et
neuves celle de sa fille Elise, cette fiancee de son fils qu'elle ne
connait pas, qu'elle ne doit jamais connaitre. Cette pensee, qui acheve
de desheriter la mere, ajoute au desastre de ses derniers instants, les
comble de tant de remords et de regrets que, malgre son vouloir d'etre
courageuse, elle pleure, elle pleure.
La nuit vient peu a peu. De larges taches d'ombre plaquent les vitres
inclinees ou le ciel immense en profondeur se decolore, semble fuir dans
de l'obscur. Les toits se massent pour la nuit comme les soldats pour
l'attaque. Gravement, les clochers se renvoient l'heure, pendant que les
hirondelles tournoient aux environs d'un nid cache et que le vent fait
son invasion ordinaire dans les decombres du vieux chantier. Ce soir, il
souffle avec des plaintes de flot, un frisson de brume, il souffle de
la riviere, comme pour rappeler a la malheureuse femme que c'est la-bas
qu'il va falloir aller... Sous sa mantille de dentelle, oh! elle en
grelotte d'avance... Pourquoi est-elle venue ici reprendre gout a la
vie impossible apres l'aveu qu'elle serait forcee de faire?... Des pas
rapides ebranlent l'escalier, la porte s'ouvre precipitamment, c'est
Andre. Il chante, il est content, tres presse surtout, car on l'attend
pour diner chez les Joyeuse. Vite, un peu de lumiere, que l'amoureux se
fasse beau. Mais, tout en frottant les allumettes, il devine quelqu'un
dans l'atelier, une ombre remuante parmi les ombres immobiles.
"Qui est la?"
Quelque chose lui repond, comme un ri
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