mun, ajouta l'ancien valet de chambre.
--Pas la moindre moralite.
--Un manque absolu de tenue... Enfin, le voila a la mer, et puis Jenkins
aussi, et bien d'autres avec eux.
--Comment! le docteur aussi?... Ah! tant pis... Un homme si poli, si
aimable...
--Oui, encore un qu'on demenage... Chevaux, voitures, mobilier... C'est
plein d'affiches dans la cour de l'hotel, qui sonne le vide comme si
la mort y avait passe... Le chateau de Nanterre est mis en vente. Il
restait une demi-douzaine de "petits Bethleem" qu'on a emballes dans un
fiacre... C'est la debacle, je vous dis, pere Passajon, une debacle dont
nous ne verrons peut-etre pas la fin, vieux tous deux comme nous sommes,
mais qui sera complete... Tout est pourri; il faut que tout creve!"
Il etait sinistre a voir ce vieux larbin de l'Empire, maigre, echine,
couvert de boue, et criant comme Jeremie: "C'est la debacle!" avec une
bouche sans dents, toute noire et large ouverte. J'avais peur et honte
devant lui, grand desir de le voir dehors; et dans moi-meme je pensais:
"O M. Chalmette... o ma petite vigne de Montbars..."
* * * * *
_Meme date._--Grande nouvelle. Madame Paganetti est venue cette
apres-midi m'apporter mysterieusement une lettre du gouverneur. Il est a
Londres, en train d'installer une magnifique affaire. Bureaux splendides
dans le plus beau quartier de la ville; commandite superbe. Il m'offre
de venir le rejoindre, "heureux, dit-il, de reparer ainsi le dommage
qui m'a ete fait." J'aurai le double de mes appointements a la
_Territoriale_, loge, chauffe, cinq actions du nouveau comptoir, et
remboursement integral de mon arriere. Une petite avance a faire
seulement, pour l'argent du voyage et quelques dettes criardes dans le
quartier. Vive la joie! ma fortune est assuree. J'ecris au notaire de
Montbars de prendre hypotheque sur ma vigne...
XXIV
A BORDIGHERA
Comme l'avait dit M. Joyeuse chez le juge d'instruction, Paul de Gery
revenait de Tunis apres trois semaines d'absence. Trois interminables
semaines passees a se debattre au milieu d'intrigues, de trames ourdies
sournoisement par la haine puissante des Hemerlingue, a errer de salle
en salle, de ministere en ministere, a travers cette immense residence
du Bardo qui reunit dans la meme enceinte farouche herissee de
couleuvrines tous les services de l'Etat, places sous la surveillance
du maitre comme ses ecuries et son harem. Des son arrivee la-bas,
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