bon Jenkins, le brave, l'honnete Jenkins." Mais moi
je vous connais, bonhomme, et malgre votre belle devise si effrontement
arboree sur les enveloppes de vos lettres, sur votre cachet, vos boutons
de manchettes, la coiffe de vos chapeaux, les panneaux de votre voiture,
je vois toujours le fourbe que vous etes et qui depasse son deguisement
de toutes parts."
Sa voix sifflait entre ses dents serrees par une incroyable ferocite
d'expression; et Paul s'attendait a quelque furieuse revolte de Jenkins
se redressant sous tant d'outrages. Mais non. Cette haine, ce mepris
venant de la femme aimee devaient lui causer plus de douleur que de
colere; car il repondit tout bas, sur un ton de douceur navree:
"Oh! vous etes cruelle... Si vous saviez le mal que vous me faites...
Hypocrite, oui, c'est vrai; mais on ne nait pas comme cela... On le
devient par force, devant les duretes de la vie. Quand on a le vent
contre et qu'on veut avancer, on louvoie. J'ai louvoye... Accusez mes
debuts miserables, une entree manquee dans l'existence, et convenez du
moins qu'une chose en moi n'a jamais menti: ma passion!... Rien n'a pu
la rebuter, ni vos dedains, ni vos injures, ni tout ce que je lis dans
vos yeux qui, depuis tant d'annees, ne m'ont pas souri une fois... C'est
encore ma passion qui me donne la force, meme apres ce que je viens
d'entendre, de vous dire pourquoi je suis ici... Ecoutez. Vous m'avez
declare un jour qu'il vous fallait un mari, quelqu'un qui veille sur
vous pendant votre travail, qui releve de faction la pauvre Crenmitz
excedee. Ce sont la vos propres paroles, qui me dechiraient alors parce
que je n'etais pas libre. Maintenant tout est change. Voulez-vous
m'epouser, Felicia?
--Et votre femme? s'ecria la jeune fille pendant que Paul s'adressait la
meme question.
--Ma femme est morte.
--Morte?... Madame Jenkins?... Est-ce vrai?
--Vous n'avez pas connu celle dont je parle. L'autre n'etait pas ma
femme. Quand je l'ai rencontree, j'etais deja marie en Irlande... Depuis
des annees... Un mariage horrible, contracte la corde au cou... Ma
chere, a vingt-cinq ans, je me suis trouve devant cette alternative; la
prison pour dettes ou mademoiselle Strang, une vieille fille couperosee
et goutteuse, la soeur d'un usurier qui m'avait avance cinq cents livres
pour payer mes etudes medicales... J'avais prefere la prison; mais
des semaines et des mois vinrent a bout de mon courage, et j'epousai
mademoiselle Strang qui m'apporta en
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