comprendre que ce petit homme disputat la place a cet
homme si grand.
-- Toi, dit d'Artagnan que la colere commencait a prendre aux
cheveux et en saisissant le garcon par l'oreille, toi, tu vas
commencer par te tenir a cette place, et ne bouge pas ou j'arrache
ce que je tiens. Quant a vous, illustre descendant de Guillaume
Tell, vous allez faire un paquet de vos habits qui sont dans ma
chambre et qui me genent, et partir vivement pour chercher une
autre auberge.
Le Suisse se mit a rire bruyamment.
-- Moi bardir! dit-il, et bourguoi?
-- Ah! c'est bien! dit d'Artagnan, je vois que vous comprenez le
francais. Alors, venez faire un tour avec moi, et je vous
expliquerai le reste.
L'hotesse, qui connaissait d'Artagnan pour une fine lame, commenca
a pleurer et a s'arracher les cheveux.
D'Artagnan se retourna du cote de la belle eploree.
-- Alors, renvoyez-le, madame, dit-il.
-- Pah! repliqua le Suisse, a qui il avait fallu un certain temps
pour se rendre compte de la proposition que lui avait faite
d'Artagnan; pah! qui etes fous, t'apord, pour me broboser t'aller
faire un tour avec fous!
-- Je suis lieutenant aux mousquetaires de Sa Majeste, dit
d'Artagnan, et par consequent votre superieur en tout; seulement,
comme il ne s'agit pas de grade ici, mais de billet de logement,
vous connaissez la coutume. Venez chercher le votre; le premier de
retour ici reprendra sa chambre.
D'Artagnan emmena le Suisse malgre les lamentations de l'hotesse,
qui, au fond, sentait son coeur pencher pour l'ancien amour, mais
qui n'eut pas ete fachee de donner une lecon a cet orgueilleux
mousquetaire, qui lui avait fait l'affront de refuser sa main.
Les deux adversaires s'en allerent droit aux fosses Montmartre, il
faisait nuit quand ils y arriverent; d'Artagnan pria poliment le
Suisse de lui ceder la chambre et de ne plus revenir; celui-ci
refusa d'un signe de tete et tira son epee.
-- Alors, vous coucherez ici, dit d'Artagnan; c'est un vilain
gite, mais ce n'est pas ma faute et c'est vous qui l'aurez voulu.
Et a ces mots il tira le fer a son tour et croisa l'epee avec son
adversaire.
Il avait affaire a un rude poignet, mais sa souplesse etait
superieure a toute force. La rapiere de l'Allemand ne trouvait
jamais celle du mousquetaire. Le Suisse recut deux coups d'epee
avant de s'en etre apercu, a cause du froid; cependant, tout a
coup, la perte de son sang et la faiblesse qu'elle lui occasionna
le contraignirent de
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