s son opinion, les facultes de
l'intellect avaient une liaison tres etroite avec les capacites de
l'estomac. Je ne suis pas eloigne de croire qu'il etait assez a ce
sujet de l'avis des Chinois, qui soutiennent que l'ame a son siege dans
l'abdomen. En tout cas, pensait-il, les Grecs avaient raison d'employer
le meme mot pour l'esprit et le diaphragme[59]. En lui attribuant
cette opinion, je ne veux pas insinuer qu'il avait un penchant a la
gloutonnerie, ni autre charge serieuse au prejudice du metaphysicien. Si
Pierre Bon-Bon avait ses faibles--et quel est le grand homme qui n'en
ait pas mille?--si Pierre Bon-Bon, dis-je, avait ses faibles, c'etaient
des faibles de fort peu d'importance--des defauts, qui, dans d'autres
temperaments, auraient plutot pu passer pour des vertus. Parmi ces
faibles, il en est un tout particulier, que je n'aurais meme pas
mentionne dans son histoire, s'il n'y avait pas joue un role
predominant, et ne faisait pour ainsi dire une saillie du plus _haut
relief_ sur le fond uni de son caractere general:--Bon-Bon ne pouvait
laisser echapper une occasion de faire un marche.
Non pas qu'il fut avaricieux, non! Pour sa satisfaction de philosophe
il n'etait nullement necessaire que le marche tournat a son propre
avantage. Pourvu qu'il put realiser un marche,--un marche de quelque
espece que ce fut, en n'importe quels termes, ou dans n'importe quelles
circonstances--un triomphant sourire s'etalait plusieurs jours de suite
sur sa face qu'il illuminait, et un clin d'oeil significatif annoncait
clairement qu'il avait conscience de sa sagacite.
En toute epoque il n'eut pas ete tres etonnant qu'un trait d'humeur
aussi particulier que celui dont je viens de parler eut provoque
l'attention et la remarque. A l'epoque de notre recit, il aurait ete
on ne peut plus etonnant qu'il n'eut pas donne lieu a de nombreuses
observations. On raconta bientot que, dans toutes les occasions de ce
genre, le sourire de Bon-Bon etait habituellement fort different du
franc rire avec lequel il accueillait ses propres faceties ou saluait
un ami. On sema des insinuations propres a intriguer la curiosite, on
colporta des histoires de marches scabreux conclus a la hate, et dont il
s'etait repenti a loisir; on parla, avec faits a l'appui, de facultes
inexplicables, de vagues aspirations, d'inclinations surnaturelles
inspirees par l'auteur de tout mal dans l'interet de ses propres
desseins.
Notre philosophe avait encore d'autres faib
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