aordinaires que
disaient Eugenie et son mari. Il n'etait question que de sa bravoure,
de sa generosite, de sa bonte. Il est vrai qu'on lui attribue aussi
quelques singularites. Je n'ai jamais pu obtenir d'explication
satisfaisante a cet egard, et je cherche en vain dans son caractere et
dans ses manieres ce qui peut avoir donne lieu a cette opinion. Un soir
de cet ete, nous entrons chez Eugenie; je crois bien que ma mere avait
saisi dans l'air quelque nouvelle de l'arrivee du _parti_. Eugenie et
son mari etaient venus a notre rencontre du cote de la cour. On
nous fait asseoir dans le salon; j'etais pres de la fenetre au
rez-de-chaussee, et il y avait devant moi un rideau entr'ouvert. "Et
votre ami, est-il arrive enfin? dit ma mere au bout de trois minutes.
--Ce matin, dit M. Borel d'un air joyeux.--Ah! je vous en felicite, et
j'en suis charmee pour vous, reprend ma mere. Est-ce que nous ne le
verrons pas?--Il s'est sauve avec sa pipe en vous entendant venir,
repond Eugenie; mais il reviendra certainement.--Oh! peut-etre que non,
lui dit son mari; il est sauvage comme l'_habitant de l'Orenoque_ (tu
sauras que c'est une des faceties favorites de M. Borel), et je n'ai pas
eu encore le temps de lui dire que je voulais le presenter a deux belles
dames. Il faudrait voir s'il ne s'en va pas promener trop loin, Eugenie,
et le faire avertir." Pendant ce temps-la je ne disais rien, mais je
voyais tres-bien M. Jacques par la fente du rideau. Il etait assis a dix
pas de la maison, sur des gradins de pierre ou Eugenie fait ranger au
printemps les beaux vases de fleur" de sa serre chaude. Il me parut, au
premier coup d'oeil, avoir vingt-cinq ans tout au plus, quoiqu'il en ait
au moins trente. Il n'est pas de figure plus belle, plus reguliere et
plus noble que celle de Jacques. Il est plutot petit que grand, et
semble tres-delicat, quoiqu'il assure etre d'une forte sante; il
est constamment pale, et ses cheveux d'un noir d'ebene, qu'il porte
tres-longs, le font paraitre plus pale et plus maigre encore. Il me
semble qu'il a le sourire triste, le regard melancolique, le front
serein et l'attitude fiere; en tout, l'expression d'une ame orgueilleuse
et sensible, d'une destinee rude, mais vaincue. Ne me dis pas que je
fais des phrases de roman; si tu voyais Jacques, je suis sure que tu
trouverais tout cela en lui, et bien d'autres choses sans doute que je
ne saisis pas, car j'ai encore avec lui une timidite extraordinaire, et
il me semble q
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