le regarde avec joie en lui disant
bonjour, et, dans ce moment-la, il a dix-sept ans comme moi; mais
ensuite je n'ose plus guere fixer les yeux sur lui, car les siens sont
toujours sur moi. A tout ce qui pourrait faire naitre sur ses traits une
expression nouvelle, je m'apercois que c'est moi qui suis observee,
et il ne m'est pas possible d'observer a mon tour. A quoi bon
l'observerais-je, d'ailleurs? que verrais-je en lui qui ne me plut pas?
et qu'aurais-je l'habilete de deviner s'il se donnait la moindre peine
pour se rendre impenetrable? Je suis si jeune! et lui... il doit avoir
tant d'experience!... Quand il m'a observee ainsi, et que je leve sur
lui un regard timide, comme pour recevoir mon arret, je trouve sur sa
figure tant d'affection, de contentement, une sorte d'approbation muette
si delicate et si douce, que je me rassure et me sens heureuse. Je vois
que tout ce que je fais, tout ce que je dis, tout ce que je pense,
plait a Jacques, et qu'au lieu d'un censeur severe j'ai en lui un etre
sympathique, un ami indulgent, peut-etre un amant aveugle!
Ah! tiens, j'ai tort de gater mon bonheur et d'affaiblir mon amour par
ces petites recherches. Que m'importent quelques annees de plus ou de
moins? Jacques est beau, excellent, vertueux, estime et admire de tous
ceux qui le connaissent, et il m'aime, je suis sure de cela; que puis-je
demander de plus?
IV.
DE CLEMENCE A FERNANDE.
De l'Abbaye-aux-Bois. Paris, le...
Je recois tes deux lettres a la fois: deux plaisirs en meme temps! Ce
serait presque trop, ma chere Fernande, si ces plaisirs n'etaient un
peu inquietes et troubles par toutes les incertitudes que me cause ta
situation. Tu me demandes des conseils sur l'affaire la plus importante
et la plus delicate de la vie; tu me demandes des eclaircissements sur
des choses que je ne sais pas, sur des personnes que je ne connais pas,
sur des faits que je n ai pas vus; comment veux-tu que je reponde? Je
ne puis que tirer, des indices que tu me donnes, quelque jugement
incertain, expectatif, que tu feras tres-bien d'examiner longtemps, et
de soumettre a de nouvelles recherches avant de l'adopter.
Je ne connais pas M. Jacques; je ne puis donc savoir a quel point lu
peux passer par-dessus les immenses inconvenients de cette difference
d'age; mais je puis et je dois te les signaler d'une maniere generale.
C'est a toi de les rejeter si tu es sure qu'il n'y ait pas lieu a en
faire l'application.
On pretend que l
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