le pas d'amour,
moi: je te fais la part bien grande en te disant que je ne le crois
pas absolument necessaire dans le mariage, et je doute que tu en aies
reellement pour ton fiance; a ton age ou prend pour de l'amour la
premiere affection qu'on eprouve. Je te parle d'amitie seulement, et
je te dis que le bonheur d'une femme est perdu quand elle ne peut pas
considerer son mari comme son meilleur ami. Es-tu bien sure de pouvoir
etre maintenant la meilleure amie d'un homme de trente-cinq ans? Sais-tu
ce que c'est que l'amitie? Sais-tu ce qu'il faut de sympathie pour la
faire naitre? quels apports de gouts, de caracteres et d'opinions sont
necessaires pour la maintenir? Quelles sympathies peuvent donc exister
entre deux etres qui, par la difference de leur age, recoivent des memes
objets des sensations tout opposees? quand ce qui attire l'un repousse
l'autre, quand ce qui parait estimable au plus age est ennuyeux au plus
jeune, quand ce qui semble agreable et touchant a la femme est dangereux
ou ridicule aux yeux du mari? As-tu pense a tout cela, pauvre Fernande?
N'es-tu pas aveuglee par ce besoin d'aimer qui tourmente miserablement
les jeunes filles? N'est-tu pas abusee aussi par une certaine vanite
secrete dont tu ne te ronds pas compte? Tu es pauvre, et un nomme riche
te recherche et t'epouse. Il a des chateaux, des terres; il a une belle
figure, de beaux chevaux, des habits bien faits; il te semble charmant,
parce que tout le monde le dit. Ta mere, qui est la femme la plus
interessee, la plus fausse et la plus adroite du monde, arrange les
choses de maniere a ce que vous ne puissiez pas vous eviter. Elle te
fait peut-etre croire qu'il est amoureux de toi, apres lui avoir fait
croire que tu etais amoureuse de lui, tandis que vous ne vous
aimez peut-etre ni l'un ni l'autre. Toi, tu es comme ces petites
pensionnaires, qui ont par hasard un cousin, et qui en sont
inevitablement amoureuses, parce que c'est le seul homme qu'elles
connaissent. Tu es noble de coeur, je le sais, et tu ne t'occupes pas
plus des richesses de M. Jacques que si elles n'existaient pas; mais tu
es femme, et tu n'es pas insensible a la gloire d'avoir fait, par ta
beaute et ta douceur, un de ces miracles que la societe voit avec
surprise, parce qu'ils sont rares en effet: un homme riche epousant une
fille pauvre.
Mais je te mets en colere, je parie; je t'en prie, ma chere enfant, ne
prends pas tout cela trop au serieux. Ce sont des choses que je t'enga
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