cartes. On voit ton jeu."
Ils avaient jusqu'ici parle a demi-voix, impressionnes par le silence de
la grande necropole; mais peu a peu les interets humains haussaient le
ton au milieu meme de leur neant etale sur toutes ces pierres plates
chargees de dates et de chiffres, comme si la mort n'etait qu'une
affaire de temps et de calcul, le resultat voulu d'un probleme.
Hemerlingue jouissait de voir son ami si humble, lui donnait des
conseils sur ses affaires qu'il avait l'air de connaitre a fond. Selon
lui le Nabab pouvait encore tres bien s'en tirer. Tout dependait de
la validation, d'une carte a retourner. Il s'agissait de la retourner
bonne. Mais Jansoulet n'avait plus confiance. En perdant Mora, il avait
tout perdu.
"Tu perds Mora, mais tu me retrouves. Ca se vaut, dit le banquier
tranquillement.
--Non, vois-tu, c'est impossible... Il est trop tard... Le Merquier a
fini son rapport. Il est effroyable, parait-il.
--Eh bien! s'il a fini son rapport, il faut qu'il en fasse un autre
moins mechant.
--Comment cela?
Le baron le regarda stupefait:
"Ah ca! mais tu baisses, voyons... En donnant cent, deux cent, trois
cent mille francs, s'il le faut...
--Y songes-tu?... Le Merquier, cet homme integre... "Ma conscience,"
comme on l'appelle..."
Cette fois le rire d'Hemerlingue eclata avec une expansion
extraordinaire, roula jusqu'au fond des mausolees voisins peu habitues a
tant d'irrespect.
"Ma conscience," un homme integre... Ah! tu m'amuses... Tu ne sais donc
pas qu'elle est a moi, cette conscience, et que..."
Il s'arreta, regarda derriere lui, un peu trouble d'un bruit qu'il
entendait:
"Ecoute..."
C'etait l'echo de son rire renvoye du fond d'un caveau, comme si cette
idee de la conscience de Le Merquier egayait meme les morts.
"Si nous marchions un peu, dit-il, il commence a faire frais sur ce
banc."
Alors, tout en marchant entre les tombes, il lui expliqua avec une
certaine fatuite pedante qu'en France les pots-de-vin jouaient un role
aussi important qu'en Orient. Seulement on y mettait plus de facon
que la-bas. On se servait de cache-pots... "Ainsi voila Le Merquier,
n'est-ce pas?... Au lieu de lui donner ton argent tout a trac dans une
grande bourse comme a un seraskier, on s'arrange. Il aime les tableaux,
cet homme. Il est toujours en trafic avec Schwalbach, qui se sert de lui
pour amorcer la clientele catholique... Eh bien! on lui offre une toile,
un souvenir a accrocher sur un panne
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