conjugaux, il monta l'escalier quatre
a quatre et entra comme un coup de mistral dans les appartements
capitonnes de la Levantine.
Elle etait encore au lit, revetue de cette grande tunique ouverte en
soie de deux couleurs que les Mauresques appellent une djebba, et de
leur petit bonnet brode d'or d'ou s'echappait sa belle criniere noire et
lourde, tout emmelee autour de sa face lunaire enflammee par le repas
qu'elle venait de finir. Les manches de la djebba relevees laissaient
voir deux bras enormes, deformes, charges de bracelets, de longues
chainettes errant sur un fouillis de petits miroirs, de chapelets
rouges, de boites de senteurs, de pipes microscopiques, d'etuis a
cigarettes, l'etalage pueril et bimbelotier d'une couchette de Mauresque
a son lever.
La chambre, ou flottait la fumee opiacee et capiteuse du tabac turc,
presentait le meme desordre. Des negresses allaient, venaient,
desservant lentement le cafe de leur maitresse, la gazelle favorite
lappait le fond d'une tasse que son museau fin renversait sur le tapis,
tandis qu'assis au pied du lit avec une familiarite touchante, le sombre
Cabassu lisait a haute voix a madame un drame en vers qu'on allait jouer
prochainement chez Cardailhac. La Levantine etait stupefiee par cette
lecture, absolument ahurie:
"Mon cher, dit-elle a Jansoulet dans son epais accent de Flamande, je ne
sais pas a quoi songe notre directeur... Je suis en train de lire cette
piece de _Revolte_ dont il s'est toque... Mais c'est crevant. Ca n'a
jamais ete du theatre.
--Je me moque bien du theatre, fit Jansoulet furieux malgre tout son
respect pour la fille des Afchin. Comment! vous n'etes pas encore
habillee?... On ne vous a donc pas dit que nous sortions?"
On le lui avait dit, mais elle s'etait mise a lire cette bete de piece.
Et de son air endormi:
"Nous sortirons demain.
--Demain! C'est impossible... On nous attend aujourd'hui meme... Une
visite tres importante.
--Ou donc cela?"
Il hesita une seconde, puis:
"Chez Hemerlingue."
Elle leva sur lui ses gros yeux, persuadee qu'il voulait rire. Alors il
lui raconta sa rencontre avec le baron aux funerailles de Mora et la
convention qu'ils avaient faite ensemble.
"Allez-y si vous voulez, dit-elle froidement; mais vous me connaissez
bien peu si vous croyez que moi, une demoiselle Afchin, je mettrai
jamais les pieds chez cette esclave."
Prudemment, Cabassu, voyant la tournure du debat, avait disparu dans une
piece v
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