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le monde, car reellement son temps se passait avenue de Villiers
ou a Enghien, et il ne faisait que des apparitions au domicile
conjugal, pour empecher que sa femme et son enfant n'eussent l'air
trop abandonnes.
Jean suivait sa route, esquissant deja un adieu, mais l'autre lui
retint la main dans ses longues mains dures de briseur de clavier
et, sans le moindre embarras, comme un homme que son vice ne gene
plus:
-- Rendez-moi donc un service... montez avec moi. Je devais diner
chez ma femme aujourd'hui, mais je ne peux vraiment pas laisser ma
pauvre Rosa toute seule a son desespoir... Vous servirez de
pretexte a ma sortie et m'eviterez une explication ennuyeuse.
Le cabinet du musicien, dans un superbe et froid appartement
bourgeois du second etage, sentait l'abandon de la piece ou l'on
ne travaille pas. Tout y etait trop net, sans rien du desordre, de
l'active petite fievre qui gagne les objets et les meubles. Pas un
livre, pas un feuillet sur la table qu'encombrait majestueusement
un enorme encrier de bronze a sec et reluisant comme dans une
devanture; ni la moindre partition au vieux piano a forme
d'epinette dont s'etaient inspirees les premieres oeuvres. Et un
buste en marbre blanc, le buste d'une jeune femme aux traits
delicats, a l'expression de douceur, tout pale dans le jour qui
tombait, faisait plus froide encore la cheminee sans feu et
drapee, semblait regarder tristement les murs charges de couronnes
dorees, enrubannees, de medailles, de cadres commemoratifs, toute
une defroque glorieuse et vaniteuse genereusement laissee a la
femme en compensation, et qu'elle entretenait comme les ornements
de tombe de son bonheur.
A peine etaient-ils entres, la porte du cabinet se rouvrit, et
Mme de Potter parut:
-- C'est toi, Gustave?
Elle le croyait seul, s'arreta devant la figure inconnue, avec une
visible inquietude. Elegante et jolie, d'une recherche de mise
intelligente, elle paraissait plus affinee que son buste, la douce
physionomie changee en une resolution courageuse et nerveuse. Dans
le monde, les avis se partageaient sur ce caractere de femme. Les
uns la blamaient de supporter le dedain affiche du mari, ce menage
en ville, connu, installe; d'autres admiraient au contraire sa
resignation silencieuse. Et l'opinion generale la tenait pour une
tranquille personne aimant son repos par-dessus tout, trouvant des
compensations suffisantes a son veuvage dans les caresses d'un bel
enfant et la joie de po
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