ais ce que
c'est qu'un sanglier: une grosse, grosse bete, tres mechante, qui
renverse tout, et tue tout le monde, quand les personnes ont peur et ne
savent pas se servir de leurs fusils. Alix n'aurait pas eu peur, elle,
et elle aurait tire le sanglier avec sa carabine, pan!
--C'est decidement une jeune personne tres brave, dit Mme Loudeac d'un
ton de legere moquerie.
--Oh! reprit la perruche, ce n'est pas comme cette pauvre Marthe
Lemoyne, qui a peur des rats, des araignees et des chauves-souris.
--Elle te l'a dit? demanda la mere en regardant sa petite fille en face.
--Oh non! mais elle dit qu'elle n'aime pas ces betes-la.
--Je t'avouerai franchement que je ne les aime pas non plus, et que je
n'en ferais pas volontiers ma societe habituelle.
--Oh! mais toi, maman, tu n'en as pas peur, tandis que Marthe doit en
avoir peur; j'en suis sure, je devine cela a son air. Elle est si..., si
timide,... si..., si embarrassee."
Ingrate Suzanne! Marthe l'aimait de tout son coeur. Mais, me direz-vous,
pourquoi l'aimait-elle? Et moi, je vous repondrai: Sait-on toujours
pourquoi l'on aime? Peut-etre Marthe avait-elle devine que Suzanne avait
un coeur d'or, et lui pardonnait-elle a cause de cela d'avoir une tete
de linotte! Elle l'aimait d'une affection discrete, silencieuse et
timide. Elle ne s'offensait pas de ses rebuffades ou de ses dedains,
parce que, n'etant pas egoiste, elle songeait peu a elle-meme, et
beaucoup a ceux qu'elle aimait.
Mme Loudeac, qui voyait clair, etait touchee de ce devouement discret,
de cette affection tendre et vraie, de cette patience, de cette absence
complete de jalousie et de mauvaise humeur.
Avec une affection quasi maternelle, Marthe veillait au bien-etre de sa
preferee, qui acceptait ses petits soins comme chose due, sans meme les
remarquer; Marthe songeait a lui envelopper le cou d'un foulard ou d'un
fichu, pour la preserver de l'air frais de la mer, elle lui retrouvait
son eventail ou son livre, toujours egares dans quelques coins
mysterieux; et pendant ce temps-la l'autre souriait a son idole, ou
boudait son idole pour quelque caprice ou quelque preference; en un mot,
elle vivait de son idole et la voyait jusque dans ses reves.
Sa petite tete romanesque se complaisait a imaginer mille et une
situations ou son idole jouait un role heroique. Par exemple, on faisait
une promenade en mer. Le canot chavirait. L'idole se precipitait dans
le gouffre, pour en tirer son _bichon_. (Depu
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