aine de son
pensionnaire. Ah! ingrat! ah! malfaiteur! Tu fausses compagnie a ton
pere nourricier! tu lui fais suer sang et eau pour te rattraper! tu
fais peur a la petite demoiselle. Sais-tu bien ce qui serait arrive
si l'autre demoiselle ne t'avait pas si bravement arrete? Tu aurais
debouche au milieu du village, et le gendarme aurait mis ton maitre en
prison et toi en fourriere!"
Il scandait chacune de ses phrases par une bonne taloche appliquee sur
le crane de l'ours. L'ours faisait semblant d'avoir peur, et fermait les
yeux a chaque taloche; mais il avait l'air de rire dans sa museliere; il
montrait ses grands crocs, et sa langue pendait de cote.
Aussitot qu'elle vit l'ours en puissance de son maitre, Marthe, sans
s'arreter au bavardage de l'homme et aux grimaces de l'ours, saisit
Suzanne dans ses bras et la couvrit de baisers pour la rassurer. Les
servantes cependant etaient accourues, ainsi que Mme Loudeac.
"Elle n'a rien, elle n'est pas blessee, dit Marthe a Mme Loudeac, qui
etait devenue toute pale de saisissement. Mme Loudeac prit Suzanne par
un bras, tandis que l'autre bras demeurait passe sur les epaules de
Marthe. Une fois dans le jardin, la porte bien fermee derriere elle, la
pauvre petite fut prise d'un tremblement convulsif. Elle cacha sa tete
contre l'epaule de Marthe en sanglotant. Et, au milieu de ses sanglots,
elle murmurait d'une voix entrecoupee: "Oh! Marthe, oh! cherie,
embrasse-moi."
Marthe l'embrassa, et Suzanne retint la figure de sa petite amie tout
pres de la sienne et plongea ses regards dans les siens. Est-ce que,
vraiment, l'acte d'abnegation et de bravoure folle qu'elle venait
d'accomplir, avait embelli Marthe et l'avait comme transfiguree?
Ou bien, la reconnaissance passionnee que ressentait Suzanne lui
ouvrit-elle tout a coup les yeux? Quoi qu'il en soit, elle s'ecria:
"Cherie, belle cherie, oh! que je te trouve belle!"
Marthe se mit a rire d'un petit rire embarrasse et dit a l'une des
servantes: "Claudine, allez preparer un verre d'eau sucree pour Mlle
Suzanne, pendant que nous allons la ramener!"
On avait un peu oublie la reine pendant tout cet esclandre. On la trouva
dans une des mansardes, la figure cachee dans les mains, et criant a
intervalles reguliers: "L'ours! l'ours!"
Quand on lui eut bien explique que l'ours ne l'avait pas suivie, que
c'etait un ours apprivoise et que son maitre l'avait emmene, elle
consentit a descendre.
Malgre son aplomb de petite reine, el
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