sait ecrasee avec
les autres et, probablement meme, plus aplatie que tout le reste. Et
pourtant!
Le pere de Marthe etait architecte. Et, quoique ce fut un veritable
artiste, bien connu dans le monde des artistes, et meme dans celui qui
s'intitule Tout-Paris, Suzanne, dans sa cervelle de linotte, le tenait
pour un petit personnage. Savez-vous pourquoi? Parce qu'un jour
M. Lemoyne avait dit devant elle, a son papa, qu'il lui arrivait
quelquefois de monter a l'echelle, comme les macons, pour voir ou en
etaient les travaux. A partir de ce jour-la elle confondit dans son idee
l'architecte avec l'entrepreneur qui bouscule les macons, et avec les
macons eux-memes.
Et, comme elle avait vu les macons dejeuner sur leurs echafaudages, elle
n'aurait pas ete surprise d'y voir un beau jour M. Lemoyne, assis les
jambes pendantes, les vetements couverts de poussiere, les favoris
constelles de pastilles de platre, tirer son dejeuner d'un sac de toile
ou d'un vieux panier d'osier.
Mme Loudeac avait devine juste. Au moment meme ou elle regardait sa
petite fille, a la derobee, d'un air attriste, l'architecte poudreux,
la mere de Marthe, si douce et si modeste, Marthe elle-meme avec ses
toilettes simples, sa taille grele plutot qu'elegante, son teint un
peu brouille, ses nattes de cheveux chatains, sa figure insignifiante
(insignifiante pour les perruches qui ne devinaient pas tout ce qu'il y
avait de bonte et d'intelligence dans ses grands yeux pensifs et doux),
tout cela formait, dans la tete de la perruche, un repoussoir a souhait
pour faire ressortir l'idole aux cheveux d'or dans son cadre etincelant.
"Et puis, reprit la perruche d'un ton confidentiel, il y a une chose que
tu ne sais pas et qu'il faut que je te dise: Alix est tres brave.
--Elle est tres brave! s'ecria Mme Loudeac d'un air surpris et amuse.
--Oh oui! tres brave, reprit la perruche en secouant gravement la tete a
plusieurs reprises.
--Et, dis-moi, mignonne, a quoi as-tu reconnu que Mlle Alix est tres
brave? Est-ce a sa maniere de danser, ou de manger une tarte aux
fraises?
--Oh! maman, dit Alice d'un air de reproche. La preuve qu'elle est tres
brave, c'est que son oncle l'amiral lui a fait cadeau d'une carabine de
salon.
--Oh! oh!
--Et elle dit qu'elle n'a pas peur de s'en servir.
--A present, me voila convaincue.
--Oh! ce n'est pas tout. Elle a pleure un jour parce que son papa et son
oncle refusaient de l'emmener a la chasse au sanglier. Tu s
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