avait conduite, ou
tout au moins jusqu'au premier relais.
"Merci, maitre Bonacieux, dit d'Artagnan en vidant son verre,
voila tout ce que je voulais de vous. Maintenant je rentre chez
moi, je vais faire brosser mes bottes par Planchet, et quand il
aura fini, je vous l'enverrai si vous voulez pour brosser vos
souliers."
Et il quitta le mercier tout ebahi de ce singulier adieu et se
demandant s'il ne s'etait pas enferre lui-meme.
Sur le haut de l'escalier il trouva Planchet tout effare.
"Ah! monsieur, s'ecria Planchet des qu'il eut apercu son maitre,
en voila bien d'une autre, et il me tardait bien que vous
rentrassiez.
-- Qu'y a-t-il donc? demanda d'Artagnan.
-- Oh! je vous le donne en cent, monsieur, je vous le donne en
mille de deviner la visite que j'ai recue pour vous en votre
absence.
-- Quand cela?
-- Il y a une demi-heure, tandis que vous etiez chez
M. de Treville.
-- Et qui donc est venu? Voyons, parle.
-- M. de Cavois.
-- M. de Cavois?
-- En personne.
-- Le capitaine des gardes de Son Eminence?
-- Lui-meme.
-- Il venait m'arreter?
-- Je m'en suis doute, monsieur, et cela malgre son air patelin.
-- Il avait l'air patelin, dis-tu?
-- C'est-a-dire qu'il etait tout miel, monsieur.
-- Vraiment?
-- Il venait, disait-il, de la part de Son Eminence, qui vous
voulait beaucoup de bien, vous prier de le suivre au Palais-Royal.
-- Et tu lui as repondu?
-- Que la chose etait impossible, attendu que vous etiez hors de
la maison, comme il le pouvait voir.
-- Alors qu'a-t-il dit?
-- Que vous ne manquiez pas de passer chez lui dans la journee;
puis il a ajoute tout bas: "Dis a ton maitre que Son Eminence est
parfaitement disposee pour lui, et que sa fortune depend peut-etre
de cette entrevue."
-- Le piege est assez maladroit pour le cardinal, reprit en
souriant le jeune homme.
-- Aussi, je l'ai vu, le piege, et j'ai repondu que vous seriez
desespere a votre retour.
-- Ou est-il alle? a demande M. de Cavois. A Troyes en Champagne,
ai-je repondu. Et quand est-il parti?
-- Hier soir."
-- Planchet, mon ami, interrompit d'Artagnan, tu es veritablement
un homme precieux.
-- Vous comprenez, monsieur, j'ai pense qu'il serait toujours
temps, si vous desirez voir M. de Cavois, de me dementir en disant
que vous n'etiez point parti; ce serait moi, dans ce cas, qui
aurais fait le mensonge, et comme je ne suis pas gentilhomme, moi,
je puis mentir.
-- Rassure-toi,
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