est seul; plus de mere, ni de frere, ni de soeur, ni de
femme, ni d'enfant!! D'autres ont dit et rediront ses exploits, moi,
je m'arrete a contempler l'abandonnement de sa derniere heure!
"Il est la, exile et captif, enchaine sur un ecueil. Nouveau
Promethee il subit le chatiment de son orgueil! Promethee avait voulu
etre Dieu et Createur; il deroba le feu du Ciel pour animer le corps
qu'il avait forme. Et lui, Buonaparte, il a voulu creer, non pas un
homme, mais un empire, et pour donner une existence, une ame, a son
oeuvre gigantesque, il n'a pas hesite a arracher la vie a des nations
entieres. Jupiter indigne de l'impiete de Promethee, le riva vivant a
la cime du Caucase. Ainsi, pour punir l'ambition rapace de
Buonaparte, la Providence l'a enchaine, jusqu'a ce que la mort s'en
suivit, sur un roc isole de l'Atlantique. Peut-etre la aussi a-t-il
senti lui fouillant le flanc cet insatiable vautour dont parle la
fable, peut-etre a-t-il souffert aussi cette soif du coeur, cette faim
de l'ame, qui torturent l'exile, loin de sa famille et de sa patrie.
Mais parler ainsi n'est-ce pas attribuer gratuitement a Napoleon une
humaine faiblesse qu'il n'eprouva jamais? Quand donc s'est-il laisse
enchainer par un lien d'affection? Sans doute d'autres conquerants
ont hesite dans leur carriere de gloire, arretes par un obstacle
d'amour ou d'amitie, retenus par la main d'une femme, rappeles par la
voix d'un ami--lui, jamais! Il n'eut pas besoin, comme Ulysse, de se
lier au mat du navire, ni de se boucher les oreilles avec de la cire;
il ne redoutait pas le chant des Sirenes--il le dedaignait; il se fit
marbre et fer pour executer ses grands projets. Napoleon ne se
regardait pas comme un homme, mais comme l'incarnation d'un peuple. Il
n'aimait pas; il ne considerait ses amis et ses proches que comme des
instruments auxquels il tint, tant qu'ils furent utiles, et qu'il jeta
de cote quand ils cesserent de l'etre. Qu'on ne se permette donc pas
d'approcher du sepulcre du Corse avec sentiments de pitie, ou de
souiller de larmes la pierre qui couvre ses restes, son ame
repudierait tout cela. On a dit, je le sais, qu'elle fut cruelle la
main qui le separa de sa femme et de son enfant. Non, c'etait une
main qui, comme la sienne, ne tremblait ni de passion ni de crainte,
c'etait la main d'un homme froid, convaincu, qui avait su dev
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