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livres aux betes pour la plus grande joie du peuple romain, n'avaient
pas une attitude plus triomphante que celle de madame Pretavoine
marchant entre ses deux agents de police, la tete haute, les yeux perdus
dans le ciel qui s'entr'ouvrait pour elle; et si la Providence avait
permis que les eleves de l'Academie de France fussent la, ils auraient
certainement vu au-dessus de sa tete ce limbe brillant qu'on appelle
l'aureole des martyrs. Malheureusement ils n'avaient pas ete prevenus,
et ils ne jouirent point de ce spectacle curieux qui bien probablement
ne se reproduira pas dans notre siecle d'impiete; il n'y avait que
des Anglais qui, leur Guide a la main, cherchaient les vestiges de
la _maison Doree_ de Neron, de vulgaires curieux ou des Romains
indifferents qui regardaient passer cette dame que conduisaient des
agents de police.
Ils ne la conduisirent pas bien loin; sur un geste de leur chef, ils
s'arreterent et lacherent leur prisonniere:
--Vous etes libre, madame, dit le chef; je vous engage a rentrer chez
vous.
--Mais...
Mais ils lui avaient deja tourne le dos, et en riant ils retournaient
vers le Colisee.
Madame Pretavoine pensa a courir apres eux, mais elle ne pouvait pas
cependant les arreter pour qu'a leur tour ils l'arretassent.
Au surplus, l'effet qu'elle avait cherche etait produit.
LIII
Il fut considerable, cet effet, grace au bruit que firent les journaux
devoues au Vatican, autour de cette arrestation.
L'_Osservatore romano_, la _Voce della verita_, la _rusta_, le
_Vessilloicattolsco_, partirent en guerre avec un ensemble parfait:
c'etait la persecution religieuse qui commencait; a Paris, l'_Univers_,
le _Monde_, l'_Union_, la _Gazette de France_, demanderent si le
gouvernement n'allait pas enfin se concerter avec les puissances
etrangeres afin de retablir le Souverain Pontife dans les conditions
necessaires du libre gouvernement de l'Eglise catholique, qui seul
pouvait proteger la religion menacee. A Rome, a Paris, les journaux
liberaux intervinrent, et dans le _Siecle_ notamment parut un article
du correspondant romain de ce journal, qui racontait tout au long
l'incident avec une ironie douce et une politesse legerement
dedaigneuse.
Madame Pretavoine avait reussi: elle avait l'aureole et elle n'avait pas
le martyre.
Cependant elle continuait sa vie simple, ne se montrant que dans les
eglises et s'enfuyant humblement aussitot que quelqu'un essayait de lui
parler de sa g
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