hant pour
moi Madame Jenkin, qu'il entourait si galamment, et ses deux jeunes
fils donnaient plus de relief a sa personne. J'emportai des quelques
heures que je passai a cote de lui dans ce charmant paysage un
souvenir emu.
J'etais alle en Angleterre en 1882 sans pouvoir gagner Edimbourg. J'y
retournai en 1883 avec la commission d'assainissement de la ville de
Paris, dont je faisais partie. Jenkin me rejoignit. Je le fis entendre
par mes collegues; car il etait fondateur d'une societe de salubrite.
Il eut un grand succes parmi nous. Mais ce voyage me restera toujours
en memoire parce que c'est la que se fixa definitivement notre forte
amitie. Il m'invita un jour a diner a son club et au moment de me
faire asseoir a cote de lui, il me retint et me dit: "Je voudrais vous
demander de m'accorder quelque chose. C'est mon sentiment que nos
relations ne peuvent pas se bien continuer si vous ne me donnez pas la
permission de vous tutoyer. Voulez-vous que nous nous tutoyions?" Je
lui pris les mains et je lui dis qu'une pareille proposition venant
d'un Anglais, et d'un Anglais de sa haute distinction, c'etait une
victoire, dont je serais fier toute ma vie. Et nous commencions a user
de cette nouvelle forme dans nos rapports. Vous savez avec quelle
finesse il parlait le francais; comme il en connaissait tous les
tours, comme il jouait avec ses difficultes, et meme avec ses petites
gamineries. Je crois qu'il a ete heureux de pratiquer avec moi ce
tutoiement, qui ne s'adapte pas a l'anglais, et qui est si francais.
Je ne puis vous peindre l'etendue et la variete de nos conversations
de la soiree. Mais ce que je puis vous dire, c'est que, sous la
caresse du _tu_, nos idees se sont elevees. Nous avions toujours
beaucoup ri ensemble; mais nous n'avions jamais laisse des banalites
s'introduire dans nos echanges de pensees. Ce soir-la, notre horizon
intellectuel s'est elargi, et nous y avons pousse des reconnaissances
profondes et lointaines. Apres avoir vivement cause a table, nous
avons longuement cause au salon; et nous nous separions le soir a
Trafalgar Square, apres avoir longe les trottoirs, stationne aux coins
des rues et deux fois rebrousse chemin en nous reconduisant l'un
l'autre. Il etait pres d'une heure du matin! Mais quelle belle passe
d'argumentation, quels beaux echanges de sentiments, quelles fortes
confidences patriotiques nous avions fournies! J'ai
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