ents. Alors apres avoir renvoye les
autres au village, il prit deux grands avec lui, moi et un autre, et
nous voila partis pour le moulin Henin. La nuit tombait. Partout des
maisons fermees, chaudes du bon feu et du bon repas du dimanche, un
petit filet de lumiere glissait sur la route et je pensais qu'a cette
heure-la on devait etre bien a table et a l'abri.
Chez les Henin le moulin etait arrete, la palissade fermee, tout le
monde rentre, betes et gens. Quand le garcon vint nous ouvrir, les
chevaux, les moutons remuerent dans leur paille; et sur les perchoirs du
poulailler, il y eut de grands coups d'ailes et des cris de peur comme
si tout ce petit peuple avait reconnu M. Klotz. Les gens du moulin
etaient attables en bas dans la cuisine, une grande cuisine bien
chauffee, bien eclairee et toute reluisante, depuis les poids de
l'horloge jusqu'aux chaudrons. Entre le meunier Henin et sa femme,
Gaspard, assis au haut bout de la table, avait la mine epanouie d'un
enfant heureux, choye, caresse.
Pour expliquer sa presence, il avait invente je ne sais quelle fete
d'archiduc, une vacance prussienne, et l'on etait en train de celebrer
son arrivee. Quand il apercut M. Klotz, le malheureux regarda tout
autour de lui, cherchant une porte ouverte pour s'echapper; mais la
grosse main du maitre s'appuya sur son epaule, et, en une minute,
l'oncle fut informe de l'escapade. Gaspard avait la tete levee et non
plus son air honteux d'ecolier pris en faute. Alors lui, qui d'habitude
parlait si rarement, retrouva sa langue tout a coup: "Eh bien, oui, je
me suis echappe! Je ne veux plus aller a l'ecole. Je n'apprendrai jamais
l'allemand, une langue de pillards et d'assassins. Je veux parler
francais comme mon pere et ma mere." Il tremblait, il etait terrible.
"Tais-toi, Gaspard..." lui disait l'oncle; mais rien ne pouvait
l'arreter. "C'est bon... c'est bon... Laissez-le... Nous viendrons le
chercher avec les gendarmes..." Et M. Klotz ricanait. Il y avait un
grand couteau sur la table; Gaspard le prit avec un geste terrible qui
fit reculer le maitre:
"Eh bien! amenez-les vos gendarmes."
Alors l'oncle Henin, qui commencait a prendre peur, se jeta sur son
neveu, lui arracha le couteau des mains, et je vis une chose affreuse.
Comme Gaspard criait toujours: "Je n'irai pas... je n'irai pas!" on
l'attacha solidement. Le malheureux mordait, ecumait, appelait sa tante
qui etait remontee toute tremblante et pleurant. Puis, pendant qu'on
att
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