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ne fallait pas trop s'y fier, car, avec un changement de vent, ou dans
les nouvelles ou pleines lunes, la temperature s'abaissait subitement,
et les marins etaient forces de recourir a leurs precautions les plus
grandes pour se premunir contre elle. Ils avaient deja brule tous les
bastingages du navire pour se chauffer, les cloisons du rouffle qu'ils
n'habitaient pas, et une grande partie du faux pont. Il etait donc temps
que cet hivernage finit. Heureusement, la moyenne de mars ne fut pas de
plus de seize degres au-dessous de zero. Marie s'occupa de preparer de
nouveaux vetements pour cette precoce saison de l'ete.
Depuis l'equinoxe, le soleil s'etait constamment maintenu au-dessus de
l'horizon. Les huit mois de jour avaient commence. Cette clarte
perpetuelle et cette chaleur incessante, quoique excessivement faibles,
ne tarderent pas a agir sur les glaces.
Il fallait prendre de grandes precautions pour lancer _la Jeune-Hardie_
du haut lit de glacons qui l'entouraient. Le navire fut en consequence
solidement etaye, et il parut convenable d'attendre que les glaces
fussent brisees par la debacle; mais les glacons inferieurs, reposant
dans une couche d'eau deja plus chaude, se detacherent peu a peu, et le
brick redescendit insensiblement. Vers les premiers jours d'avril, il
avait repris son niveau naturel.
Avec le mois d'avril vinrent des pluies torrentielles, qui, repandues a
flots sur la plaine de glaces, haterent encore sa decomposition. Le
thermometre remonta a dix degres au-dessous de zero. Quelques hommes
oterent leurs vetements de peaux de phoque, et il ne fut plus
necessaire d'entretenir un poele jour et nuit dans le logement. La
provision d'esprit-de-vin, qui n'etait pas epuisee, ne fut plus employee
que pour la cuisson des aliments.
Bientot, les glaces commencerent a se briser avec de sourds craquements.
Les crevasses se formaient avec une grande rapidite, et il devenait
imprudent de s'avancer sur la plaine, sans un baton pour sonder les
passages, car des fissures serpentaient ca et la. Il arriva meme que
plusieurs marins tomberent dans l'eau, mais ils en furent quittes pour
un bain un peu froid.
Les phoques revinrent a cette epoque, et on leur donna souvent la
chasse, car leur graisse devait etre utilisee.
La sante de tous demeurait excellente. Le temps etait rempli par les
preparatifs de depart et par les chasses. Louis Cornbutte allait souvent
etudier les passes, et, d'apres la configuration de
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