dont on ne put rien tirer, les lames aiant
emporte les bordages, les ecoutilles, et fracasse tout le vaisseau, tant
la mer brise fort en ces parages. Ainsi l'on jugea que le plus expedient
etoit de s'en retourner, puis-qu'on n'avoit rien a pretendre, et qu'on
avoit a craindre les vents forcez et les tempetes, qui selon les
aparences auroient aussi fait perir la flute. Dans ce dessein on alla
faire de l'eau. Ceux qui furent a une petite riviere qu'on avoit vue,
au-lieu de se hater, se promenerent, et coururent en divers endroits.
"Cependant il s'eleva une si terrible tempete, que la flute fut
contrainte de se mettre au large, ou elle atendit encore quelque tems.
Mais comme la chaloupe ne revenoit point, on jugea qu'elle avoit peri;
si-bien qu'on reprit la route de Batavia, ou l'on fit le raport de ce qui
s'etoit passe.
"Quand l'orage eut cesse, l'equipage de la chaloupe se rembarqua pour
retourner a bord. 'Mais il ne trouva plus la flute, ni sur la cote, ni au
large. La tristesse ne fut pas moindre que l'etonnement, et l'on ne seut
quel parti prendre. Enfin il fallut retourner a terre, pour n'etre pas
englouti par les flots. Mais on n'avoit point de vivres, et l'on ne
voioit rien dans tout le pais qui put servir de nouriture. Les montagnes
n'etoient que des rochers; les valees etoient de vrais deserts; les
plaines n'etoient que des sables. Le rivage etoit aussi borde de roches,
contre lesquelles la mer brisoit avec d'efroiables mugissemens.
"Ceux qui etoient la demeurez se trouvoient au nombre de treize hommes,
qui furent bientot fatiguez, afoiblis et attenuez. La faim les pressoit,
le froid et l'humidite les faisoient soufrir, et ils se regardoient comme
condamnez a la mort. Il n'y avoit rien a esperer du bris; les vagues
avoient tout fait rouler ca et la dans la mer. Enfin a force de courir et
de chercher quelque chose qu'ils pussent manger, ils apercurent entre les
rochers qui etoient le long du rivage, de gros limacons, et de plus
petits, qui y venoient de la mer, et dont le gout, qui etoit passable,
parut excellent a des gens affamez. Mais n'aiant point de feu pour les
faire cuire, l'usage continuel qu'ils en firent, commenca de les
incommoder, et ils sentirent bien que ce foible remede ne les empecheroit
pas de mourir dans peu de tems.
"Enfin ne voiant de toutes parts qu'une mort certaine, ils prirent la
resolution de s'exposer a la merci des flots, dans l'esperance que s'il
ne se presentoit rien de plus fav
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