e demi-douzaine d'Indiens drapes dans des
serapes rayes passaient devant l'auberge. Leurs regards sauvages, leur
demarche lente et fiere, les faisaient facilement distinguer des _indios
manzos_, des _pueblos_, porteurs d'eau et bucherons.
--Sont-ce des Navajoes? demandai-je.
--Oui, monsieur, oui, reprit Gode avec quelque animation. Sacrr...! des
Navajoes, de veritables et damnes Navajoes!
--Il n'y a pas a s'y tromper, ajouta Saint-Vrain.
--Mais les Navajoes sont les ennemis declares des Nouveaux-Mexicains.
Comment sont-ils ici? prisonniers?
--Ont-ils l'air de prisonniers?
Certes, on ne pouvait apercevoir aucun indice de captivite ni dans leurs
regards ni dans leurs allures. Ils marchaient fierement le long du mur,
lancant de temps a antre sur les passants un coup d'oeil sauvage, hautain
et meprisant.
--Pourquoi sont-ils ici alors? Leur pays est bien loin vers
l'ouest.
--C'est la un de ces mysteres du Nouveau-Mexique sur lesquels je vous
donnerai quelques eclaircissements une autre fois. Ils sont maintenant
sous la protection d'un traite de paix qui les lie, tant qu'il ne leur
convient pas de le rompre. Quant a present, ils sont aussi libres ici que
vous et moi; que dis-je? ils le sont bien davantage. Je ne serais point
surpris de les rencontrer ce soir au fandango.
--J'ai entendu dire que les Navajoes etaient cannibales?
--C'est la verite. Observez-les un instant! Regardez comme ils couvent des
yeux ce petit garcon joufflu, qui parait instinctivement en avoir peur. Il
est heureux pour ce petit drole qu'il fasse grand jour, sans cela il
pourrait bien etre etrangle sous une de ces couvertures rayees.
--Parlez-vous serieusement, Saint-Vrain!
--Sur ma parole; je ne plaisante pas! Si je me trompe, Gode en sait assez
pour pouvoir confirmer ce que j'avance, Eh! voyageur?
--C'est vrai, monsieur. J'ai ete prisonnier dans la Nation: non pas chez
les Navagh, mais chez les damnes d'Apaches. C'est la meme chose, pendant
trois mois. J'ai vu les sauvages manger,--_eat_,--un, deux _trie, trie_
enfants rotis, comme si c'etaient des bosses de buffles. C'est vrai,
monsieur, c'est tres-vrai.
--C'est la vraie verite: les Apaches et les Navajoes enlevent des enfants
dans la vallee, ici, lors de leurs grandes expeditions; et ceux qui ont
ete a meme de s'en instruire assurent qu'ils les font rotir. Est-ce pour
les offrir en sacrifice au dieu feroce Quetzalcoatl? est-ce par gout pour
la chair humaine? c'est ce qu'
|