un moment je crus etre le
jouet d'un songe. Mais non; la scene etait trop reelle et ne pouvait
Passer pour une vision. Je vis la bordure du flot noir a dix yards de moi
et s'approchant toujours! Alors, et seulement alors, je reconnus les
bosses velues et les prunelles etincelantes des buffalos.
--Grand Dieu! pensai-je, ils vont me passer sur le corps.
Il etait trop tard pour chercher mon salut dans la fuite. Je saisis mon
rifle et fis feu sur le plus avance de la bande. L'effet, de ma balle fut
insensible. L'eau de l'arroyo m'eclaboussa jusqu'a la face; un bison
monstrueux, en tete du troupeau, furieux et mugissant, s'elancait a
travers le courant et regrimpait la rive. Je fus saisi et lance en l'air.
J'avais ete jete en arriere, et je retombai sur une masse mouvante. Je ne
me sentais ni blesse ni etourdi, mais j'etais emporte en avant sur le dos
de plusieurs animaux qui, dans cet epais troupeau, couraient en se
touchant les flancs. Une pensee soudaine me vint et m'attachant a celui
qui etait plus immediatement au-dessous de moi, je l'enfourchai,
embrassant sa bosse, et m'accrochant aux longs poils qui garnissaient son
cou. L'animal, terrifie, precipita sa course et eut bientot depasse la
bande. C'etait justement ce que je desirais, et nous courumes ainsi a
travers la prairie, au plein galop du bison qui s'imaginait sans doute
qu'une panthere ou un casamount[1] etait sur ses epaules.
[Note 1: Chat sauvage de montagne.]
Je n'avais aucune envie de le desabuser, et craignant meme qu'il ne
s'apercut que je n'etais pas un animal dangereux et ne se decidat a faire
halte, je tirai mon couteau, dont j'etais heureusement muni, et je le
piquai chaque fois qu'il semblait ralentir sa course. A chaque coup de cet
aiguillon, il poussait un rugissement et redoublait de vitesse. Je courais
un danger terrible. Le troupeau nous suivait de pres, deployant un front
de pres d'un mille, et il devait inevitablement me passer sur le corps, si
mon buffalo venait a s'arreter et a me laisser sur la prairie. Neanmoins,
et quel que fut le peril, je ne pouvais m'empecher de rire interieurement
en pensant a la figure grotesque que je devais faire. Nous tombames au
milieu d'un village de _Chiens-de-prairie_. La, je m'imaginai que l'animal
allait faire demi-tour et revenir sur ses pas. Cela interrompit mon acces
de gaiete; mais le buffalo a l'habitude de courir droit devant lui, et le
mien, heureusement, ne fit pas exception a la regle. Il allait
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