Mon cher prince,
Je n'ai pu vivre dans l'intimite de votre charmante niece, sans me
prendre pour elle d'un sentiment de tendresse qui peu a peu est
devenu de l'amour.
J'ai l'honneur de vous demander sa main et je vous prie d'etre
mon interprete aupres de madame la comtesse Belmonte, a laquelle
d'ailleurs j'ecris directement, pour appuyer ma demande.
Je ne veux aujourd'hui presenter que la question de sentiment; quant
a ce qui est affaire, nous nous en occuperons, si vous le voulez
bien, de vive voix, lorsque nous aurons le plaisir d'etre reunis.
Croyez, mon cher prince, a mes meilleurs sentiments.
EDOUARD CHAMBERLAIN.
Autant le prince avait ete satisfait de la lettre ecrite a Carmelita,
autant il fut mecontent de celle-la.
Vraiment ce marchand de petrole le prenait de haut et d'un ton degage
avec le dernier representant des Mazzazoli.
Il prit la lettre adressee a la comtesse et l'ouvrit.
Elle etait a peu pres la repetition de celle qu'il venait de lire, avec
plus de politesse seulement et moins de sans-gene.
Alors, reunissant ces trois lettres, il passa dans la chambre de
Carmelita, ou se trouvait la comtesse.
--Je viens de recevoir une lettre du colonel Chamberlain, dit-il.
--Ah! s'ecria la comtesse.
Carmelita ne dit rien; mais, se soulevant sur le fauteuil ou elle etait
etendue, elle regarda son oncle fixement.
--Voici deux lettres qui vous sont adressees, continua le prince.
Et il remit ces lettres, l'une a sa soeur, l'autre a sa niece.
--Ne me faites pas mourir d'impatience, s'ecria la comtesse, les mains
tremblantes, parlez donc.
--Lisez, dit-il.
Carmelita n'avait point attendu ce conseil, prenant la lettre des mains
de son oncle, elle en avait commence vivement la lecture, sans faire
d'observation a propos du cachet brise.
Mais la comtesse tremblait tellement qu'elle ne pouvait lire; alors,
le prince, s'approchant d'elle, lui reprit la lettre et la lui lut a
mi-voix.
--Ah! le bon garcon, s'ecria la comtesse.
Et elle joignit les mains en marmottant quelques mots inintelligibles.
Cependant Carmelita avait acheve la lecture de sa lettre, beaucoup plus
longue que celle de sa mere.
Le prince, qui l'observait, n'avait pas vu son visage palir ou rougir.
Mais, lorsqu'elle fut arrivee a la derniere ligne, elle se leva vivement
et lancant a son oncle un regard triomphant:
--Eh bien! dit-elle, suis-je une oie?
Le prince
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