t de nous voir pris de panique. Cependant il me semble que nous
ne sommes pas dans des conditions atmospheriques ordinaires. Il est vrai
que j'ai des raisons pour respirer difficilement aujourd'hui.
--Mais si vous etes souffrante il faut rentrer.
--Souffrante, je ne le suis point vraiment; je suis oppressee, voila
tout.
Il s'arreta pour la regarder, et il vit qu'en effet elle paraissait sous
le poids d'une emotion assez vive ou tout au moins d'un trouble.
--Vous avez envie de me questionner? dit-elle.
--Il est vrai.
--Pourquoi ne le faites-vous pas franchement? Je n'ai rien a vous
cacher, et je puis tres bien vous dire ce qui me cause cette oppression:
ce n'est point une souffrance physique, c'est un tourment moral.
N'etes-vous pas mon confident? Hier j'ai recu une lettre de mon maitre
de chant, dans laquelle il me dit qu'il m'a trouve un engagement en
Italie, et que je dois me hater de partir, sinon pour debuter, au moins
pour me mettre a la disposition de mon directeur. Je n'ai donc plus que
quelques jours a passer ici, et j'avoue qu'au moment de prendre cette
grave determination, je suis emue, tres emue. Il m'en coute, il m'en
coute beaucoup de me separer de ma mere, d'abandonner mon oncle, et, je
dois le dire aussi, pour etre sincere, il m'en coute de renoncer a
cette vie tranquille, heureuse que je menais ici, pour me jeter dans
l'inconnu.
--Et pourquoi renoncez-vous a cette vie tranquille?
--Puis-je faire autrement et pensez-vous que je sois revenue sur ma
resolution? Elle est aujourd'hui ce qu'elle etait au moment ou je vous
l'ai fait connaitre; seulement, prete a la mettre a execution, je la
trouve plus cruelle plus penible que lorsque j'avais quelques jours
devant moi, qui semblaient devoir se prolonger jusqu'a une epoque
indeterminee. Maintenant cette epoque est fixee; ce ne sont plus
quelques jours que j'ai devant moi, c'est seulement quelques heures.
--Quelques heures?
--Demain j'aurai quitte le Glion; apres demain je serai en Italie.
--Vous partez demain?
--Cette promenade est la derniere que nous ferons ensemble... au moins
dans ce pays, dont je garderai un si bon, un si doux souvenir.
Disant cela, elle se retourna et promena lentement ses regards sur la
plaine et sur le lac qui derriere eux s'etendait a leurs pieds.
Une larme semblait rouler dans ses paupieres et mouiller ses yeux, qui
brillaient d'un eclat extraordinaire.
--Voila la maison ou j'ai passe les meilleurs jour
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