t me donner; mais aussi j'avais grand desir de me
menager un tete-a-tete avec vous, dans lequel je pourrai vous adresser
une demande pour moi tres importante.
--Je vous ecoute.
--Ah? maintenant rien ne presse, car je ne crains pas que notre
tete-a-tete soit trouble; dejeunons donc d'abord, ensuite je vous ferai
mes confidences. N'ecouterez-vous pas mieux? Pour moi, je parlerai plus
facilement quand j'aurai apaise mon appetit, car je meurs de faim.
Ouvrant son sac, il en tira les provisions et les ustensiles de table
qu'il renfermait.
Ces provisions et ces ustensiles etaient des plus simples: du pain,
un poulet froid et du sel; deux couteaux, deux verres et deux petites
serviettes; dans une gourde recouverte d'osier, du vin blanc d'Yverne.
Le couvert fut bien vite mis sur un quartier de rocher et ils s'assirent
en face l'un de l'autre.
--Pour le plaisir que je me promettais, dit-elle, je suis servie a
souhait.
Et, tout en mordant du bout des dents un os de poulet elle promena
lentement les yeux autour d'elle.
Assurement il y a en Suisse beaucoup de montagnes plus celebres que ces
pentes des dents de Naye et de Jaman, cependant il en est peu ou la vue
puisse embrasser un panorama plus vaste, et surtout plus varie! tout se
trouve reuni, arrange, dispose, compose, pour le plaisir des yeux: les
eaux, les bois, les champs, les prairies, les villages et les villes. Au
loin, se confondant dans le ciel, les pics sauvages des Alpes, couverts
de neiges et qui, de quelque cote qu'on se tourne, vous entourent, et
vous eblouissent; a ses pieds, au contraire, le spectacle de la vie
civilisee: les toits des villages qui reflechissent les rayons du
soleil, les bateaux a vapeur qui tracent des sillons blancs sur les eaux
bleues du lac, et, dans les vallees, la fumee des locomotives qui court
et s'envole a travers les maisons et les arbres. Les bruits de la plaine
et des vallees ne montent point jusqu'a ces hauteurs, et dans l'air
tranquille on n'entend que les clochettes des vaches ou le chant des
bergers qui fauchent l'herbe sur les pentes trop rapides pour les pieds
des troupeaux.
--Quel malheur que ces bergers ne nous chantent pas le _Ranz des
vaches_! dit Carmelita en souriant.
Et elle se mit elle-meme a chanter a pleine voix cet air, tel qu'il se
trouve ecrit dans _Guillaume Tell_.
--Comment trouvez-vous ma voix! demanda-telle.
--Admirable.
--Ce n'est pas un compliment que je vous demande, mais une repo
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