!
--Oh! pas d'indignation; vous devez sentir que je ne m'y laisserais
pas prendre. Menagez-vous, reservez vos forces, ne prodiguez pas votre
eloquence en pure perte; vous en aurez besoin bientot, et vous trouverez
a les employer plus utilement qu'avec moi.
Elle parlait avec une vehemence que le baron ne lui avait jamais vue,
en contenant sa voix cependant de maniere a n'etre pas entendue
distinctement par les personnes qui se trouvaient dans les loges
voisines; mais la violence meme qu'elle se faisait pour se contenir
rendait son emotion plus evidente.
Decidement le baron avait eu tort de se rendre a l'invitation du prince
Seratoff, et il aurait ete beaucoup plus sage a lui d'ecouter son
inspiration premiere, qui lui conseillait de rester tranquillement dans
son fauteuil. Comment n'avait-il pas devine, apres la rupture qui avait
eu lieu entre lui et madame de Lucilliere, qu'une invitation de celle-ci
ne pouvait etre que dangereuse!
Maintenant qu'il avait commis la sottise de se rendre a cette invitation
et de venir dans cette loge, quand et comment en sortir?
Comme il se posait cette question, la porte de la loge s'ouvrit, et le
duc de Mestosa s'avanca vivement vers la marquise, en homme heureux de
voir la femme qu'il adore.
Cette visite redoubla l'embarras du baron, car il connaissait madame
de Lucilliere et ses habitudes: c'etait toujours publiquement qu'elle
s'expliquait avec les gens dont elle croyait avoir a se plaindre, et
elle le faisait avec un esprit diabolique qui lancait des allusions et
les mots aceres d'une facon cruelle. Qu'elle eut tort ou raison elle
arrivait toujours a mettre les rieurs de son cote, et l'on ne sortait de
ses jolies griffes roses que dechire aux endroits les plus sensibles,
avec des blessures ridicules. Que de fois n'avait-il pas ri lui meme de
ses pauvres victimes!
Maintenant c'etait son tour de recevoir ces blessures sans pouvoir les
rendre. Il se leva pour ceder la place au duc.
Mais de la main elle le retint.
--J'ai a peine commence la confidence que j'ai a vous faire, dit-elle.
Puis s'adressant au duc de Mestosa, qui restait indecis:
--J'ai une affaire importante a traiter avec le baron, dit-elle;
voulez-vous nous donner quelques minutes encore?
Au moins l'explication n'aurait pas de temoin.
Ce fut ce que le baron se dit avec satisfaction.
--Sachant la verite au sujet de cette lettre anonyme, continua madame de
Lucilliere, vous devez vous demander comm
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